Bande dessinée : le Suisse Bernard Cosey reçoit le Grand Prix d’Angoulême
Bande dessinée : le Suisse Bernard Cosey reçoit le Grand Prix d’Angoulême
Par Frédéric Potet (Angoulême, envoyé spécial)
Auteur d’une œuvre audacieuse et originale, le dessinateur vaudois de 66 ans a été distingué lors du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, mercredi.
« Souviens-toi, Jonathan », premier album de Bernard Cosey, paru en 1977.
Son héros est amnésique, ce qui n’est pas le cas de ses lecteurs. Cosey (de son vrai nom Bernard Cosendai) est devenu, mercredi 25 janvier, le nouveau Grand Prix de la ville d’Angoulême, à la suite du scrutin organisé en amont du Festival international de la bande dessinée (26-29 janvier) auprès des professionnels du secteur (dessinateurs, scénaristes, coloristes). Agé de 66 ans, il est l’auteur d’une œuvre audacieuse et originale, marquée par l’intimité des histoires qu’il raconte depuis la création de son personnage fétiche, Jonathan, au milieu des années 1970.
Deuxième Suisse à figurer au palmarès des Grand Prix après Zep (2004), il succède à Hermann, avec lequel il a en commun de partager le même éditeur, Le Lombard. Tout l’oppose, pour le reste, aux univers âpres et pessimistes du dessinateur belge, qu’on célèbre cette année au bord de la Charente. Les albums de Cosey sont mélancoliques, contemplatifs, humanistes, et parfois même méditatifs. Les « aventures » qu’il propose se déroulent autant au milieu de paysages immaculés – aux confins du Tibet (qu’il connaît bien pour y être allé plusieurs fois) ou du Grand Nord américain – que dans la psyché de personnages à la sensibilité chahutée.
La bande dessinée franco-belge doit à Cosey une petite révolution quand, en 1975, paraît dans l’hebdomadaire Tintin une histoire n’étant pas destinée au départ à devenir une série, Souviens-toi, Jonathan. Son héros est un jeune homme ayant perdu la mémoire, qui s’enfuit de la clinique où il est enfermé pour rejoindre l’Himalaya, dans l’espoir de trouver trace de son passé. Pétries de tendresse et de simplicité, de nombreuses rencontres avec les habitants des hauts plateaux tibétains jalonneront son séjour, raconté à la manière d’un voyage intérieur.
Pareille fiction n’était pas habituelle pour les jeunes lecteurs de bande dessinée de l’époque. « Ceux-ci avaient le choix entre les héros “classiques”, qui paraissaient dans Tintin ou Spirou, et les antihéros, qu’on trouvait dans Pilote, se souvient Cosey. Je ne me sentais à l’aise dans aucune catégorie, un antihéros étant aussi stéréotypé qu’un héros, à mes yeux. J’ai voulu créer un personnage qui soit proche de ce que chacun ressent au fond de soi. »
Des musiques à écouter avec ses albums
Le dessinateur va emprunter le prénom Jonathan au best-seller du romancier américain Richard Bach, Jonathan Livingstone le goéland (1970). Il va être, aussi, l’un des tout premiers auteurs de BD à proposer des sélections musicales à écouter pendant la lecture de ses albums (Pink Floyd et Mike Oldfield pour ce premier opus). Il va, enfin, se permettre une mise en scène libérée de toute contrainte formelle, avec des dessins qui débordent des cases, des cases qui s’exonèrent des « gaufriers » de la BD franco-belge, et une conception de la narration dessinée proche de l’idéogramme.
Cette audace, Cosey la doit en grande partie à Derib, le créateur de Yakari et Buddy Longway. Il passera sept ans dans l’atelier de son maître. C’est avec lui qu’il « montera » à Paris et Bruxelles afin de placer Jonathan dans un journal. « Tous l’ont refusé. Sauf Tintin, le seul où je ne voulais pas qu’il soit publié au départ, car c’était le journal de Derib. Vu que mon style était alors du “sous-Derib”, je craignais de souffrir de la comparaison », se souvient-il. Le public offrira un accueil enthousiaste à Jonathan, qui, de one shot, va devenir une des séries majeures de la bande dessinée des années 1970 à 1990.
L’un des premiers à développer le roman graphique
Mais Cosey va s’en lasser, et surtout vouloir expérimenter d’autres formats, comme le roman graphique, qu’il est l’un des tout premiers à développer en Europe, avec A la recherche de Peter Pan, un diptyque situé en Suisse. Suivront de nombreux albums imprégnés des mêmes ambiances éthérées et de ce faux rythme assumé qui privilégie l’introspection à l’action pure : Le Voyage en Italie, Saigon-Hanoï, Zeke raconte des histoires, Le Boudha d’Azur… Autant d’albums proches du carnet de voyage, qui n’empêcheront pas Cosey de revenir régulièrement à Jonathan, parfois après de longues interruptions (onze ans entre les tomes 11 et 12).
Son dernier « pas de côté », en 2016, a pour le moins surpris ses lecteurs : Cosey a en effet participé au projet de Glénat de revisiter les personnages de Disney, avec un album appelé Une mystérieuse mélodie, dans lequel il raconte la toute première rencontre (amoureuse) entre Mickey et Minnie. De son prochain projet le dessinateur vaudois ne veut en revanche rien dire, sinon qu’il sera totalement en noir et blanc : une première pour ce maître des couleurs.