Un député sur six emploie un membre de sa famille comme collaborateur
Un député sur six emploie un membre de sa famille comme collaborateur
Par Maxime Vaudano, Mathilde Damgé, Anne-Aël Durand
Enfant, époux, cousin… au moins 103 députés, sur 572, ont des liens familiaux avec leurs assistants, selon l’enquête menée par Les Décodeurs.
L’affaire Fillon a mis en pleine lumière le rôle des assistants parlementaires. Au-delà des soupçons d’emploi fictif, qui devront être tranchés par la justice, cet épisode a relancé le débat sur une pratique assez répandue : l’emploi par les élus de membres de leur famille, pour des fonctions pas toujours très bien définies.
L’enquête menée par Le Monde à partir de la liste des collaborateurs publiée la semaine dernière par l’Assemblée nationale, couplée à l’interrogation de l’ensemble des députés, a permis d’identifier au moins 103 députés (soit 18 %) qui emploient un membre de leur famille, en circonscription ou au Palais-Bourbon. Au moins huit d’entre eux ont même salarié deux proches. Des chiffres qui sous-estiment probablement la réalité, puisque seule la moitié des élus ont accepté de jouer la transparence.
Epouses, maris, conjoints, enfants, cousins…
La plupart de ces collaborateurs familiaux ont un lien direct avec le ou la députée, de nature conjugale ou filiale. Ce sont les seules relations dont la rémunération est encadrée par les services financiers de l’Assemblée : elles ne doivent pas être rémunérées au-delà de 4 780 euros brut par mois, soit la moitié de l’enveloppe totale donnée à chaque député pour payer ses collaborateurs.
Dans quelques cas plus rares, il s’agit de cousins, frères ou sœur, et même une petite-fille, celle de Francis Hillmeyer (UDI, Haut-Rhin). On découvre aussi que certains députés qui se sont séparés de leur femme continuent à travailler avec elle, d’autres ont épousé leur assistante.
Alors que la profession d’assistant parlementaire est plutôt féminine (59 %), cette tendance est encore accrue parmi les salariés ayant un lien familial avec le député et atteint 70 % de femmes. Le déséquilibre est flagrant parmi les conjoints : seules six députées emploient leur mari, alors que quarante-cinq élus masculins travaillent avec leur épouse ou compagne.
Certains députés assument leur choix. Ainsi Nicolas Dupont-Aignan (DLF, Essonne) a-t-il justifié auprès du Parisien l’emploi de sa femme Valérie : « Si elle ne travaillait pas avec moi, on ne se verrait jamais. » Jean-Pierre Gorges (LR, Eure-et-Loir) y voit même un avantage : « C’est intéressant, parce que quand je fais des conneries, elle [sa fille Mathilde] s’autorise à me le dire, contrairement à quelqu’un d’autre qui serait moins franc », a-t-il expliqué sur RMC.
Pratique nettement plus répandue à droite
Aucun groupe parlementaire n’échappe à la pratique, qui est toutefois nettement plus répandue à droite. Un quart des élus Républicains et près de 30 % de ceux de l’UDI sont concernés, contre seulement 11,8 % du groupe socialiste et écologiste. Même le plus petit groupe parlementaire, la gauche démocrate et républicaine, compte un député (Patrice Carvalho, PCF, Oise) qui emploie son épouse, sur 15 élus.
Parmi les huit « cumulards » qui emploient deux membres de leur famille, quatre sont membres des Républicains (Jean-Luc Reitzer, Marc-Philippe Dabresse, Patrice Martin-Lalande, Jean-Claude Mathis), contre une socialiste (Marie-Line Reynaud), un centriste (Rudy Salles) et l’élu d’extrême-droite Jacques Bompard.
Pour éviter de déclarer des liens familiaux avec ses collaborateurs, les députés peuvent être tentés par l’embauche croisée : faire employer son fils ou sa fille comme assistant parlementaire d’un collègue député. Nous n’avons détecté que deux cas avérés de députés employant l’une le fils (Edouard Santais), l’autre la fille d’une autre députée (Maryll Vignal), mais ils sont probablement plus nombreux.
Plusieurs députés ont aussi pris la décision particulière, bien que légale, d’employer leur suppléant (ou d’investir leur collaborateur comme suppléant, selon comment on voit les choses). Au total, ils sont 36 dans ce cas, dont 21 au Parti socialiste. Comme l’a relevé l’hebdomadaire Marianne, Manuel Valls, qui avait laissé son siège à Carlos da Silva en entrant au gouvernement, l’a embauché comme collaborateur après son retour dans l’Hémicycle (alors que celui-ci est aussi conseiller régional).
Temps partiels
La liste publiée par l’Assemblée ne précise ni la durée de travail ni le salaire de chaque collaborateur. Or, certains sont à temps – parfois très – partiel : un assistant de Christine Pirès-Beaune (PS, Puy-de-Dôme) n’est employé que quatre heures par semaine, celui d’Yves Jégo (UDI, Seine-et-Marne) travaille très précisément 12,7 heures hebdomadaires, tandis que trois assistants de Jonas Tahuaitu (LR, Polynésie), dont sa belle-sœur, se partagent un temps plein. Le député PS de la Somme, Pascal Demarthe explique que sa femme l’a d’abord aidé bénévolement, avant d’être embauchée huit heures par semaine pour des « missions complémentaires » de communication sur les réseaux sociaux. Elle assure « les reportages photographiques lors des déplacements en circonscription le week-end, l’organisation d’événements, l’accueil des groupes en visite à l’Assemblée nationale ». Elle lui sert enfin « aussi de chauffeur très souvent ».
Parmi les collaboratrices à temps partiel figurent aussi Karine Gautreau et Jessica Masson. Employées à (quasi) plein temps plein au siège du Parti socialiste depuis 2014 (respectivement comme directrice de la communication et attachée de presse), elles sont restées assistantes parlementaires du député et premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis (Paris)… mais à raison de trente heures par mois, pour une rémunération de « quelques centaines d’euros ». Karine Gautreau précise qu’elle s’occupe de ce que « personne n’est capable de faire » dans l’équipe parlementaire de Jean-Christophe Cambadélis depuis son départ à Solférino, comme par exemple l’organisation de déplacements dans le 19e arrondissement.
La multiplication des temps partiels explique en partie partie la disparité du nombre de collaborateurs employés par chaque député – alors même que l’immense majorité dispose de la même enveloppe de 9 561 euros, prévue pour rémunérer jusqu’à cinq personnes. Trois élus se contentent d’un seul assistant : Jean-Claude Fruteau (PS, La Réunion), Roger-Gérard Schwartzenberg (PRG, Val-de-Marne) et François Fillon (LR). A l’inverse, le député de Loire-Atlantique, François de Rugy (Parti écologiste), qui bénéficie d’une enveloppe majorée en tant que vice-président de l’Assemblée nationale, détient le record, avec huit employés... mais aucun proche.
- Une transparence inachevée Pressée par l’actualité de l’affaire Fillon, l’Assemblée nationale a publié pour la première fois, le mardi 21 février, la liste des 2 039 collaborateurs des 572 députés en activité sur son site Internet. Quelques jours avant, Le Monde avait interrogé par courriel l’ensemble des députés sur l’identité de leurs collaborateurs, en leur proposant de déclarer leur date d’embauche, leur lieu de travail (Assemblée ou circonscription) et, surtout, leurs liens familiaux. Au terme du délai d’une semaine qui leur avait été fixé, 205 des 572 députés avaient accepté de se plier à cette opération baptisée #TransparenceAN. Pour les autres, Le Monde a cherché les autres liens familiaux dont témoignaient des sources ouvertes (presse, déclarations). Faute de transparence plus poussée de l’Assemblée, il est impossible de savoir si nos résultats sont fidèles ou très en-deça de la réalité. La liste complète de nos résultats est disponible sur Le Monde.fr.