Donald Trump, le « président Twitter » a cédé la place au « président prompteur »
Donald Trump, le « président Twitter » a cédé la place au « président prompteur »
Le président va devoir traduire ses promesses dans les faits. Il a besoin du Congrès, qu’il ne peut plus le mépriser comme il l’avait fait jusqu’alors.
Donald Trump devant le congrès des Etats-Unis, le 28 mars 2017. | © XXSTRINGERXX xxxxx / Reuters / REUTERS
Gilles Paris, le correspondant du Monde à Washington, a répondu aux questions des internautes, mercredi 1er mars, sur ce qu’il faut retenir du premier discours de Donald Trump devant le Congrès.
Dans son discours, Donald Trump avait l’air plus posé, mais le fond a-t-il changé ?
Donald Trump a prononcé l’un de ses premiers vrais discours présidentiels mardi soir. Le « président Twitter », agressif, intempestif, a cédé la place au « président prompteur », mais le fond est resté le même, très imprégné de la vision articulé par son conseiller stratégique, Stephen Bannon.
Cette vision est celle d’une Amérique repliée sur la défense de ses intérêts, qui ne veut pas « représenter le monde », comme l’a dit hier le président, mais qui au contraire est prête à ériger toutes les barrières possibles, physiques ou douanières, au nom d’un nationalisme économique.
Dans le camp républicain au Congrès, quel est le niveau de soutien au président Trump ?
Il est pour l’instant très élevé. Donald Trump n’a cessé de s’exprimer exclusivement en direction de son électorat depuis son élection, en déroulant des éléments d’un programme républicain classique (la dérégulation des banques, du secteur de l’énergie) et en y ajoutant sa marque, dont la sortie du traité de libre-échange avec les pays riverains du Pacifique, le TPP.
C’est ce qui explique ce soutien et en même temps l’opposition radicale des démocrates et la bascule des indépendants, peu convaincus par ses premières semaines. La situation est plus complexe pour ce qui relève du Congrès.
Les républicains de la Chambre des représentants et du Sénat ne sont pas très à l’aise avec le fait que M. Trump se soucie aussi peu de la dette, certaines perspectives de dépenses ne les enthousiasment guère, mais ils restent redevables de premiers gestes comme la nomination d’un juge conservateur pour la Cour suprême.
Une des explications du changement de ton de M. Trump est qu’il va devoir maintenant traduire ses promesses dans les faits. Il a besoin du Congrès, il ne peut plus le mépriser comme il l’avait fait lors de sa prestation de serment, le 20 janvier.
Quel est le rôle réel du Congrès face à Donald Trump ?
Les pouvoirs du président des Etats-Unis sont moins étendus que ceux d’un président français. Le Congrès a ainsi la haute main sur le processus législatif et sur le budget.
Les deux majorités, à la Chambre des représentants et au Sénat, sont de la même couleur politique que M. Trump, mais il existe cependant des nuances, accentuées par le fait que le nouveau président est un républicain atypique.
Enfin, les démocrates, bien que minoritaires, disposent d’un pouvoir de nuisance au Sénat pour toutes les procédures pour lesquelles la tactique du « filibuster », l’obstruction, peut être utilisée. M. Trump n’a aucune expérience en la matière mais il peut s’appuyer sur son vice-président, Mike Pence, ancien représentant de l’Indiana.
Si M. Trump s’écarte trop des convictions républicaines, notamment sur la dette, il peut se heurter à une réelle opposition. Le président des Etats-Unis a certes le pouvoir de signer des décrets exécutifs, mais il peut alors être bloqué par la justice, comme on l’a vu sur le décret anti-immigration.
Comment le mur de séparation avec le Mexique a-t-il été évoqué ?
Le mur constitue le marqueur de la campagne de Donald Trump sur l’immigration. Il faut rappeler que toutes les pistes de réformes de l’immigration précédentes ont toujours comporté un renforcement de la frontière, mais elles s’attaquaient par ailleurs au grand problème constitué par la présence aux Etats-Unis de millions de sans-papiers.
Sur ce point, M. Trump est resté silencieux mardi soir alors qu’il avait évoqué dans l’après-midi devant des patrons de chaînes d’information une sorte de régularisation qui ne comporterait cependant pas l’accession à la citoyenneté.
Le président est coincé. Il ne peut pas reculer sans décevoir son électorat, alors qu’il joue sur le fait que lui, dit-il, « tient ses promesses », mais il ne peut pas non plus expulser ces millions de personnes.
Comment peut-il articuler la réduction du déploiement américain à travers le monde et la hausse du budget alloué au Pentagone ?
On peut trouver dans la hausse souhaitée du budget de la défense à la fois une filiation républicaine classique et un attrait personnel pour la puissance, ou l’apparence de la puissance. Cette hausse ne serait en fait que de 19 milliards et non pas de 54 comme il le dit, puisque l’administration Obama planchait déjà sur une croissance de 35 milliards.
Ce renforcement de l’outil militaire est pour M. Trump principalement dissuasif. Il ne veut pas intervenir dans les conflits où les intérêts américains ne sont pas, selon lui, en jeu. Ce renforcement a aussi des conséquences sur l’industrie américaine et il s’inscrit dans ce nationalisme économique qui se moque des déficits.
Contrairement à un John McCain, qui veut une armée puissante pour défendre les valeurs américaines dans le monde, M. Trump ne pense qu’à défendre une Amérique forteresse.
Cette vision de la puissance est assez simpliste du fait qu’elle nie toute efficacité au soft power, et M. Trump aura bien du mal à la financer sur le dos du département d’Etat si on en juge par les réactions des républicains du Congrès.
Comment Donald Trump imagine-t-il financer son programme ?
Pour l’instant, M. Trump ne semble pas se soucier du prix de ses initiatives, rompant avec les principes des conservateurs fiscaux. Le projet de mur n’est pas budgété, il repose sur la supposition que le Mexique sera mis à contribution dune manière ou d’une autre mais on ne voit pas comment.
On ne sait pas non plus si son plan de modernisation des infrastructures sera financé directement par l’Etat fédéral, ou bien par des exemptions fiscales dont bénéficieraient les entreprises intéressées. Sa hausse du budget militaire doit être compensée par des coupes claires dans d’autres agences, mais on n’en sait pas plus pour le moment. La réforme fiscale, telle qu’elle est prévue, va également amputer considérablement les recettes de l’Etat.
Le pari est que le surcroît de dépenses va relancer la croissance et des recettes, mais il s’agit là, pour les critiques, de la théorie du « ruissellement », et comme le disait le républicain George H. W. Bush, d’une sorte d’« économie vaudoue ».
Sans réel leadership démocrate, Trump n’a-t-il pas une autoroute devant lui sans réel opposant ?
Il est encore bien trop tôt pour juger. En février 2009, Barack Obama jouissait d’une popularité sans commune mesure avec celle de Donald Trump. Il contrôlait les deux chambres du Congrès, développait une vision optimiste du rapport au monde des Etats-Unis et plaidait pour un retrait des conflits irakien et afghan très largement partagé par l’opinion. Six mois plus tard, le mouvement du Tea Party prenait son essor. Deux ans plus tard, le Parti républicain s’assurait le contrôle de la Chambre des représentants, ouvrant une cohabitation impossible avec le président, freinant la moindre de ses initiatives.
Il n’est pas étonnant que les démocrates soient encore sous le choc après une série de revers qui les a plongés au plus bas, mais la réactivité de leur base aux premières mesures de M. Trump est un indice du rejet que cette présidence inspire. N’oublions pas que M. Trump, élu uniquement par le Collège électoral, reste pour l’instant minoritaire.
Quelle est la position du président vis-à-vis de l’Europe ?
Pour l’instant, M. Trump n’a pas évoqué un durcissement des procédures pour les pays européens qui bénéficient d’une exemption de visa. Il a réaffirmé mardi soir son attachement à l’OTAN dans des termes pour une fois assez peu ambigus.
En revanche, il a évoqué indirectement sa bête noire, l’Union européenne, lorsqu’il a fait l’éloge des « droits souverains des nations » qu’il conçoit comme antagonistes avec toute organisation supranationale.
Son hostilité vis-à-vis de l’Union européenne renvoie également à sa volonté d’imposer des accords bilatéraux dans lesquels les Etats-Unis seront presque toujours en position de force.