Au Royaume-Uni, les droits du football s’envolent
Au Royaume-Uni, les droits du football s’envolent
LE MONDE ECONOMIE
L’opérateur historique de téléphonie BT garde les droits exclusifs de la Ligue des champions, pour 1,4 milliard d’euros sur trois ans, un triplement du prix en six ans.
BT va-t-il y laisser son maillot ? Ou réussira-t-il là où les groupes de télévision ESPN et Setanta ont échoué ? L’opérateur historique de téléphonie au Royaume-Uni, ex-British Telecom, a en tout cas décidé d’intensifier son attaque sur les droits de retransmission du football outre-Manche.
Lundi 6 mars, il a remporté pour la deuxième fois d’affilée les droits pour la prestigieuse Ligue des champions, qu’il diffuse déjà depuis la saison 2015-2016. Il conserve l’exclusivité de cette compétition pour trois saisons supplémentaires, jusqu’en 2020-2021. Prix : 394 millions de livres par an, soit environ 1,2 milliard de livres au total (1,4 milliard d’euros).
Cette somme représente un bond de 32 % par rapport au prix payé lors du précédent accord avec l’UEFA (Union des associations européennes de football). En six ans, les prix des droits de cette compétition, qui réunit les meilleures équipes européennes, ont triplé au Royaume-Uni.
En cassant ainsi sa tirelire, BT poursuit son offensive contre la citadelle Sky. Le bouquet satellites, contrôlé par la famille du magnat Rupert Murdoch, a bâti son succès sur les droits du football. En 1992, il avait surpris tout le monde en achetant les droits exclusifs de la Premier League, la Ligue 1 anglaise. Cet investissement, au prix exponentiel à chaque renouvellement (5,6 milliards d’euros pour la période 2016-2019), a fait la fortune du championnat anglais. Mais il a aussi réussi à Sky, qui affiche aujourd’hui 12,5 millions de clients et un bénéfice à faire pâlir d’envie tous les géants des télécoms (1,6 milliard de livres de bénéfice opérationnel). A tel point que la famille Murdoch, qui ne possède que 39 % du bouquet satellites, tente actuellement d’acquérir l’ensemble du groupe pour un peu plus de 11 milliards de livres (13 milliards d’euros).
Son modèle est pourtant difficile à copier. Setanta, un groupe irlandais, a tenté de lancer la concurrence en 2007, en achetant une (petite) partie des droits de la Premier League. Ce fut un échec. L’américain ESPN a ensuite tenté sa chance. Là encore, en vain. La plupart des téléspectateurs ne veulent pas payer deux abonnements et ont toujours donné toujours la priorité à l’offre la plus alléchante.
Une logique financière très différente
BT s’est lancé à son tour en 2013. Il a d’abord acheté une partie des droits de la Premier League. Mais surtout il s’est imposé en arrachant l’exclusivité de la Ligue des champions. Pour ses chaînes, il a désormais installé de grands studios dans l’ancien centre de télévision du parc olympique de Londres et recruté quelques présentateurs stars, dont Gary Lineker, un ancien footballeur professionnel très célèbre. BT s’est aussi offert des droits de retransmission de cricket, de NBA (basket américain), de certains tournois de tennis…
Sa logique financière est cependant très différente des précédents concurrents de Sky. BT ne cherche pas tant à gagner de l’argent sur sa télévision (1,7 million d’abonnés) qu’à utiliser cette offre pour convaincre ses clients d’utiliser son réseau câblé et ses abonnements à Internet et au téléphone. L’ancien monopole d’Etat trouve là une chance de renouer avec le grand public et d’enrayer un déclin qui pouvait paraître inéluctable. En France, SFR suit une stratégie similaire.
Le bilan jusqu’à présent ? Mitigé. Pour les passionnés du sport sur petit écran, Sky continue à dominer largement. Pendant la saison 2015-2016, la première où BT possédait la Ligue des champions, son audimat s’élevait à 0,5 %, contre 2 % pour Sky Sports. Néanmoins, l’ex-British Telecom progresse. Pour les matchs de la Ligue des champions, son audience est comparable à celle de Sky, avec en moyenne un demi-million de téléspectateurs.
Tête de gondole
De plus, BT ne s’intéresse guère aux recettes tirées directement de ses chaînes de télévision. Celles-ci ont longtemps été gratuites, à condition que l’on soit abonné à son accès à l’Internet haut débit. Aujourd’hui, leur premier prix reste modeste, autour de 5 euros par mois.
Mais le géant des télécoms utilise cette offre comme une tête de gondole. De ce côté-là, l’entreprise peut se vanter d’attirer près de la moitié de tous les nouveaux clients du Royaume-Uni à l’Internet haut débit et très haut débit (4,7 millions d’abonnés et 260 000 clients gagnés au dernier trimestre 2016). Plus important encore, les dépenses moyennes par client ont augmenté de 8 % en 2016, à 46 euros environ.
Cette progression n’est cependant pas à mettre uniquement sur le compte du sport. BT investit beaucoup dans l’installation de son réseau câblé, en particulier dans la fibre optique. L’entreprise a aussi acheté le réseau de téléphonie mobile EE, qui appartenait à moitié à Orange. La télévision n’est donc qu’une des facettes de sa stratégie.
En outre, l’addition est salée. Chaque année, BT paye 1 milliard de livres en droits de retransmission. Certains analystes craignent que la limite ne soit atteinte. Les paris restent donc ouverts sur le succès de cette stratégie. D’autant que, pour l’instant, la citadelle Sky est loin de vaciller.