« Nous sommes le peuple » rappelle cette homme, lors du rassemblement organisé à l’aéroport de San Diego (Californie) contre le décret anti-immigration, le 6 mars. | SANDY HUFFAKER / AFP

Lundi 6 mars, Donald Trump a signé une version modifiée de son décret migratoire, la première version ayant été bloquée par la justice le 3 février. Le texte qui gèle pour une période de quatre-vingt-dix jours l’accès au territoire américain d’un certain nombre de ressortissants étrangers doit entrer en vigueur le 16 mars.

Pour passer l’épreuve du tribunal, Donald Trump, accusé de discriminer les musulmans, a apporté quelques modifications. Contrairement à la première version, le texte précise qu’il ne s’applique pas aux titulaires d’un permis de séjour permanent, aux binationaux, ni aux personnes qui seront détentrices d’un visa à la veille du 16 mars.

L’Irak, qui figurait dans la première version, en a été retiré. Ne restent donc que six pays d’Afrique et du Moyen-Orient : l’Iran, la Syrie, le Soudan, la Libye, la Somalie et le Yémen. Enfin, le décret ne mentionne plus de dispositions particulières concernant le sort de minorités religieuses, notamment les chrétiens d’Orient.

Peu importe ces modifications, les Etats d’Hawaï et Washington ont déjà contesté en justice la nouvelle version. Pour Mathieu Bonzome, maître de conférences à l’université d’Orléans, spécialiste de la politique et de l’immigration américaine, « la question de la discrimination reste un enjeu ».

Le nouveau décret anti-immigration est-il une copie du précédent ?

On peut dire que c’est une copie du précédent dans une large mesure. Seul un pays (l’Irak) a été enlevé de la liste des sept pays dont les ressortissants seraient empêchés d’entrer aux Etats-Unis dans les prochains mois, et le décret bloque toujours l’entrée aux réfugiés, même si les Syriens seraient désormais placés à la même enseigne que les autres.

Il y a essentiellement deux différences. Les personnes déjà détentrices d’un visa ne sont plus concernées. Cela concerne les étudiants étrangers mais aussi les personnes détentrices d’un visa de travail. Ce point a fait l’objet d’une bonne partie des protestations suscitées par le décret, de la part des premiers concernés, mais aussi de protestations formelles de la part de chefs d’entreprise : par exemple, des dizaines de PDG de la Silicon Valley, qui emploient de nombreux ressortissants étrangers, ont même déposé devant la cour fédérale en charge du dossier un friend of the court brief, pour informer la cour de leurs opinions.

Deuxième différence : tout en levant l’interdiction d’entrée concernant les Irakiens, le décret ne protège plus les minorités religieuses des six pays restants, comme c’était le cas dans la première version. C’est une manière de dire que cela ne concerne pas uniquement les musulmans mais bien tous les ressortissants de ces pays, afin de tenter d’empêcher le pouvoir judiciaire de dire que c’est une discrimination religieuse.

Quels sont les arguments pour contester cette nouvelle version ?

Je ne peux pas dire ce que les juges diront demain. Mais malgré ces modifications, la question de la discrimination reste un enjeu qui peut être tranché par le pouvoir judiciaire, à la fois du fait de la composition des populations exclues, en grande majorité musulmane, et du discours de campagne de Donald Trump qui promettait d’interdire l’entrée des musulmans aux Etats-Unis. Une partie des protestations contre le décret, y compris dans les aéroports, concerne son caractère discriminatoire.

L’argument de Donald Trump est de dire que ce décret anti-immigration vise à protéger les Etats-Unis. L’argument sécuritaire peut être contesté factuellement, par exemple sur la base de statistiques sur les attentats sur le sol américain et la nationalité des auteurs pour voir si elle coïncide aux pays ciblés par le décret. On peut également estimer qu’en empêchant l’entrée sur la base de la nationalité, on met dans le même sac de potentiels « terroristes » et leurs potentielles victimes, qui essayent de les fuir.

Justement, comment les pays ont-ils été choisis ? Pourquoi l’Afghanistan, le Pakistan et l’Arabie saoudite n’en font pas partie, par exemple ?

Les alliés proches des Etats-Unis de longue date, tels que l’Arabie saoudite et le Pakistan ont été exclus. L’Irak, concerné par la première version, a également été retiré de la liste. L’idée est sans doute de dire que suite à l’intervention américaine, les institutions du pays fonctionnent suffisamment bien pour combattre le terrorisme et réguler l’émigration vers les Etats-Unis. Le revirement sur ce point peut alimenter les doutes concernant les objectifs de sécurité intérieure de ce décret : l’Irak semble avoir été retiré pour une question de bonne entente avec le gouvernement.

Hawaï, Washington et d’autres Etats ont déjà attaqué la nouvelle version du décret. Quel parcours juridique va-t-il connaître ?

Il peut se passer la même chose qu’en janvier-février. La cour fédérale peut décider de suspendre le décret en attendant d’examiner sa conformité avec la Constitution américaine. Pour la première version, après la suspension par la cour fédérale, le gouvernement a fait appel de cette décision, appel que la cour a rejeté. Comme les autres recours possibles engageraient l’administration Trump dans une procédure plus longue, celle-ci a décidé de mettre sur pied une deuxième version. Résultat, la procédure juridique pour la première version a été abandonnée.

Pour le deuxième décret, la cour fédérale doit maintenant instruire le dossier, éventuellement en fonction d’avis extérieurs qu’elle pourrait recevoir comme pour le premier, avant de rendre un avis, peut-être assez rapidement – la dernière fois, la suspension est intervenue une semaine après l’entrée en vigueur du décret. En cas de suspension, Donald Trump se retrouvera devant les mêmes recours possibles que la fois précédente.

Dans des circonstances normales, si le décret est suspendu une deuxième fois, on pourrait s’attendre à ce que M. Trump se décourage. Mais je ne me risquerai à aucun pronostic. Cette présidence nous réserve sans doute encore des surprises.