Le poutinisme, ce spectre qui hante l’Europe
Le poutinisme, ce spectre qui hante l’Europe
Editorial. En recevant Marine Le Pen au Kremlin, vendredi 24 mars, Vladimir Poutine poursuit sa politique de déstabilisation de l’ordre continental qui garantit la paix en Europe occidentale depuis 1945.
Vladimir Poutine et Marine Le Pen, au Kremlin à Moscou, le 24 mars. | Mikhail Klimentyev / AP
Editorial du « Monde ». Le calendrier n’est pas anodin, Vladimir Poutine et Marine Le Pen sont trop fins politiques pour cela. Au moment où les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne se rendaient à Rome pour célébrer le soixantième anniversaire du traité de Rome, qui fonda l’Union européenne, la candidate française de l’extrême droite était reçue au Kremlin. Par Vladimir Poutine lui-même.
Le président russe a bien fait les choses : poignée de main, une heure et demie d’entrevue, dont le début était filmé, dans la grande tradition du Kremlin, pour donner le sentiment que les dirigeants n’ont rien à cacher aux citoyens. Et un soutien à peine déguisé à Marine Le Pen, un mois avant le premier tour de l’élection présidentielle française. Certes, le président russe a prétendu qu’il ne voulait nullement intervenir dans le cours des choses, mais il s’est déclaré « très heureux » de rencontrer Marine Le Pen et a salué en elle la représentante d’un « spectre politique en Europe qui croît rapidement ».
Ce spectre qui hante l’Europe, c’est celui de la déstabilisation et, à terme, de la destruction de l’ordre continental, qui garantit la paix en Europe occidentale depuis 1945. Car qu’est-ce que Poutine, le modèle que promeut Marine Le Pen ? Un régime très autoritaire, qui assassine ses opposants ; le viol des règles internationales avec l’annexion de la Crimée ; le soutien au régime syrien de Bachar Al-Assad, dont les crimes ont plus nourri le terrorisme djihadiste qu’ils ne l’ont combattu ; le repli ethnico-religieux, sur la chrétienté blanche, qui incarnerait la vraie Europe face à un Occident décadent.
Le poutinisme, c’est aussi le retour aux bonnes vieilles méthodes de déstabilisation, de l’Ukraine au Caucase, et le rappel de la doctrine Brejnev : la « souveraineté limitée » des voisins de la Russie.
Le recroquevillement national
Ce serait le destin de la France de Marine Le Pen. Nul n’est dupe, lorsque la candidate d’extrême droite se réclame de De Gaulle, « pour que la France retrouve sa souveraineté, sa liberté et sa politique étrangère harmonieuse ». Elle exploite l’antiaméricanisme historique du Général, qui rêvait d’une Europe de l’Atlantique à l’Oural.
Mais, derrière les mots, le modèle de Marine Le Pen signifierait le recroquevillement national conjugué à la soumission aux puissances, russe mais aussi américaine. A cet égard, la visite, début janvier à New York, de la candidate à la Trump Tower donne une image plus juste de ce que serait une France disqualifiée par l’extrême droite : une Marine Le Pen contemplant le marc de café, rêvant d’une entrevue avec le président, qui n’a pas daigné la recevoir.
L’avenir et la liberté de la France se situent en Europe. Ce week-end, cet esprit était à Rome. L’UE, que l’on disait morte, a survécu à trois drames existentiels : la crise de l’euro, l’afflux des réfugiés et le Brexit, qui sera enclenché la semaine prochaine. Reste à endiguer la vague populiste. Les électeurs sont en passe de reprendre leurs esprits. A l’automne, les Autrichiens ont refusé d’élire un président d’extrême droite. Aux Pays-Bas, l’islamophobe Geert Wilders a subi une sévère déconvenue. La dernière étape est l’élection française.
Forts de ce mandat populaire, les dirigeants européens auront à réinventer la belle promesse du préambule du traité de Rome : « établir les fondements d’une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens ». Sous une forme renouvelée mais avec la même ambition de fraternité européenne.