A Roubaix, la Belgique était venue pour Tom Boonen
A Roubaix, la Belgique était venue pour Tom Boonen
Par Clément Guillou (Envoyé spécial à Roubaix)
Pour la dernière course de sa carrière, le champion a davantage été fêté que le vainqueur de l’épreuve, son compatriote Greg Van Avermaet.
A compiègne, lors de la présentation des équipes le 8 avril, l’aurevoir de Tom Boonen. | PHILIPPE LOPEZ / AFP
Les jeunes filles les plus photographiées du vélodrome de Roubaix, dimanche 9 avril, n’étaient pas sur des vélos : d’abord car Paris-Roubaix n’existe pas (encore) en version féminine, ensuite car l’équilibre de Jacqueline et Valentine est encore précaire. A deux ans, les deux filles jumelles de Tom Boonen ont été la cible des photographes et cameramen belges toute la fin de l’après-midi.
La frontière entre vie sportive et vie privée de Tom Boonen a depuis longtemps été franchie en Belgique, la star belge y contribuant elle-même par ses publications sur les réseaux sociaux. Et, depuis le début de la tournée d’adieux de leur père, les deux petites robes à volants semblent s’être habituées aux objectifs qui immortalisent ici une prise de tétine assurée, là un câlin à maman, ou une roulade sur l’herbe du vélodrome. L’essaim de photographes resta bien un quart d’heure, devant une Lore Boonen impassible derrière ses lunettes de soleil. Elle aussi a appris à composer avec une presse flamande qui commente depuis quinze ans les bons et mauvais moments de son couple, comme ses tenues vestimentaires.
A ce moment d’une après-midi brûlante, à quelques kilomètres de la frontière belge, la présence de la famille Boonen trompait la déception d’une course dont le scénario avait exclu le quadruple vainqueur de l’épreuve, relégué dans un deuxième groupe.
Jusqu’au bout pourtant, la moindre de ses apparitions sur le grand écran soulevait une clameur.
« Boonen a l’image du gars bien éduqué, poli »
Comme une fois par an, Roubaix avait cessé, dimanche, d’être la ville la plus pauvre de France pour être la ville la plus riche en Flamands. Il y avait aussi quelques Wallons, et on vit même les deux peuples sympathiser derrière le seul homme pour lequel ils avaient franchi la frontière. A table, on réglait la CB portative sur la fréquence de Radio Tour, relevait les premières chutes, et convenait que si Boonen ne gagnait pas, alors il faudrait que ce soit le tour d’un autre coureur de la Quick-Step. C’était après les premières bières et avant la trouée d’Arenberg. Personne ne parlait de Greg Van Avermaet, le futur vainqueur.
« Van Avermaet a la réputation d’être un peu con, trop gentil. Boonen a l’image du gars bien éduqué, poli, courtois. Dans l’encadrement de la Quick-Step, on nous dit qu’ils doivent le cadrer pour ne pas répondre à toutes les sollicitations, tant il a envie de donner », décrypte Laurent Galinon, en cours de réalisation d’un documentaire sur les fans de Boonen.
Tom Boonen précède Sebastian Langeveld sur les mythiques pavés, le 9 avril. | PHILIPPE LOPEZ / AFP
Parmi eux, Franky Bonne, un ouvrier quinquagénaire de Tielt, dans les Flandres occidentales, qui fait signer avant chaque course son drapeau « Tornado Tom » par tous les coureurs de la Quick-Step. Il le hisse ensuite sur les secteurs pavés de Paris-Roubaix ou sur les monts du Tour des Flandres. Dès que les coureurs et, surtout, les caméras de télévisions sont passées, il remballe son calicot, monte dans la voiture où il suit la course sur la radio flamande, et prend des raccourcis qu’il connaît par cœur vers un autre secteur, un autre mont.
Sur le bas-côté du petit secteur pavé de Templeuve, des supporteurs de Boonen avaient aussi organisé une fête avec houblon et techno, deux passions flamandes. Deux mille cinq cents personnes s’y sont pressées. Toutes portaient un masque de la star au crâne chauve.
« Pas eu le temps de faire autre chose que rouler »
Boonen n’a pas eu le temps d’y jeter un œil, a-t-il dit à l’arrivée après avoir longuement profité de sa dernière douche de coureur. « Ça a été une édition très rapide, à bloc toute la journée. Je n’ai pas eu beaucoup le temps de faire autre chose que rouler. »
La foule acclame Tom Boonen à son arrivée, le 9 avril à Roubaix. | BERNARD PAPON / AFP
La ligne franchie, le grand Belge ne s’est pas arrêté profiter du vélodrome ni de ses supporteurs. Il a roulé vers son bus, poursuivi par une meute de journalistes. A son passage dans l’allée arborée qui borde le vélodrome, on se précipitait pour sortir le portable ; bien souvent, il était passé quand l’appareil photo était enfin actif.
Quand il a émergé, une heure plus tard, du bus de la Quick-Step, la foule de tout âge avait grandi. Elle a hurlé des « Tommeke ! Tommeke ! » qui venaient de loin et compliquaient le travail des preneurs de son des télévisions flamandes, lesquelles avaient maintenu leur direct jusqu’à pouvoir donner la première réaction de Boonen.
« Les 5 derniers kilomètres de ma carrière »
Son sourire était large et son tee-shirt simple. Il a feint de ne pas s’être attendu à un tel accueil et d’en être particulièrement touché. A déploré le scénario de course, relevant avoir été « très marqué » par ses adversaires. « Sur la route, j’étais énervé que ça n’aille pas dans mon sens, je n’ai pas vraiment pensé au fait que c’était ma dernière course », a-t-il encore dit. « Au panneau des 5 derniers kilomètres, c’est là que je me suis dit : ce sont les 5 derniers kilomètres de ma carrière. »
Un peu plus tôt, Patrick Lefevere, patron de la Quick-Step qui le connaît depuis quinze ans, avait donné le fond de la pensée de Boonen : « Il m’a dit qu’il y avait [avec lui] beaucoup de grands coureurs par leur nom, mais qui ne l’étaient pas sur le vélo. » Boonen n’aura pas, jusqu’au bout, voulu déroger à sa réputation de champion courtois.