Editorial du « Monde ». C’est une histoire chinoise comme il y en a beaucoup d’autres dans la Chine du XXIe siècle, première ou deuxième économie du globe, puissance réémergente au premier rang des nations. Il y en a beaucoup de ces histoires-là, mais elles sont vite étouffées par la presse locale et occidentale. Elle a pourtant son importance.

Le 8 octobre 2010, le Prix Nobel de la paix a été attribué à un intellectuel chinois, fin lettré, âgé de 55 ans, Liu Xiaobo. Il purgeait une peine de onze ans de prison, prononcée en 2009 pour dissidence politique. Son crime ? Etre l’un des auteurs d’un document intitulé Charte 08, rédigé en 2008 par 300 intellectuels et réclamant une démocratisation du régime – en fait, la stricte application de la loi.

Liu Xiaobo n’a pas été autorisé à se rendre à Oslo, dont le jury disait vouloir honorer « un long combat non violent en faveur des droits fondamentaux ». Il n’a jamais reçu son prix. La nouvelle a été quasi censurée en Chine. A tout le moins, ce jour-là, le nom de Liu Xiaobo – grand front et lunettes d’intellectuel souriant, santé fragile – a-t-il acquis une certaine célébrité, et le courage d’un homme seul face à la machine répressive du système a-t-il été honoré. Puis le professeur de lettres est retourné à l’anonymat, celui d’une prison dans la province de Liaoning, dans le nord-est du pays, à la frontière avec la Corée du Nord. On imagine les conditions de détention.

Depuis quelques jours, M. Liu a été sorti de prison et hospitalisé à Shenyang, capitale du Liaoning. Motif ? Cancer du foie en état avancé, diagnostiqué fin mai, selon son frère et des sources jointes par Le Monde. Sa peine n’a pas été commuée. Sa femme n’a pas pu venir le voir. Depuis la condamnation de son époux, Liu Xia a été placée de facto en résidence surveillée, dans son appartement de Pékin, et elle a sombré dans la dépression.

Verrouiller davantage le pouvoir

La vérité ? Depuis des années, Liu Xiaobo souffre d’hépatite, sans doute contractée lors de ses précédents séjours en prison ou en camp de travail, et le régime, à la veille du XIXe congrès du PCC, veut éviter la mort d’un éminent dissident politique en détention. Ce n’est pas très important, à l’aune du PNB chinois, des immenses réussites économiques, sociales, scientifiques, artistiques du pays, bien réelles, mais c’est tout de même une mauvaise publicité.

Car elle révèle la fermeture, et la brutalité, d’un système politique encore accentuée depuis 2012 et l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping. Elle témoigne d’un régime qui, particulièrement sous la houlette du président Xi, veut, certes, davantage ouvrir l’économie chinoise, mais ne supporte pas la moindre dissidence politico-intellectuelle, fût-elle des plus pacifiques. Comme celle de Liu Xiaobo, comme celle de ces dizaines, voire centaines, d’avocats jetés en prison, « disparaissant » quelques jours, quelques mois, et impitoyablement condamnés à de lourdes peines de prison pour avoir réclamé cette incongruité juridique : l’application de la loi…

A l’automne, le Congrès doit verrouiller davantage encore le pouvoir personnel déjà très fort du président Xi. Le cœur du PCC doit être renouvelé : les sept membres du comité permanent du Bureau politique. On attend des hommes sages et expérimentés. Ils le seraient plus encore s’ils avaient pris soin d’écouter – écouter seulement – un lettré fragile plein d’ambition pour son grand pays. Mais, à cette date, le professeur Liu Xiaobo sera peut-être mort.