TV : « La Servante écarlate », du grand art
TV : « La Servante écarlate », du grand art
Par Martine Delahaye
Adapté d’une roman de Margaret Atwood, une série intense, vibrante, aux images inoubliables (sur OCS Max, à 20 h 40).
THE HANDMAIDS TALE Season 1 TRAILER (2017) Hulu Series
Comment un tel choc esthétique peut-il naître d’un récit aussi atroce ? Comment une telle lumière peut-elle imprégner la mémoire laissée par cette dystopie quand tout, ici, résonne des pires horreurs du temps présent ? S’il est une série digne des sommets de la « Peak TV », la voilà : La Servante écarlate (The Handmaid’s Tale, adapté par Bruce Miller d’un roman de Margaret Atwood, sorti en 1985 et tout juste réédité chez Robert Laffont). Provoquant le trouble de la violence en usant du hors-champ, induisant un sentiment de terreur par une mise en scène minimaliste, filmant ses interprètes féminines au plus près des tressaillements de leur visage, Bruce Miller et son équipe signent là une impressionnante série, aux images inoubliables.
Stupéfiante Elisabeth Moss
Dans un présent qui a les caractéristiques d’une « démocrature », voire d’une « dictocratie », avec un retour à des valeurs renvoyant au XVIIe siècle – sans compter des costumes, des couleurs et une lumière dignes de Vermeer –, l’Etat américain considère la reproduction humaine comme un impératif moral, et la fertilité comme une ressource nationale. Ce qui, quelle surprise, passe par la prise de contrôle des femmes, classées en trois catégories : les Epouses, les Marthas ou bonnes à tout faire, et les Servantes, sortes de poules pondeuses mises en esclavage utérin parce qu’elles peuvent encore procréer. Car l’état écologique de la planète a rendu une grande part de la population stérile…
Dans un passé récent qui, au vu de flash-back parfaitement maîtrisés, a toutes les apparences de notre monde occidental d’aujourd’hui, la simple liberté d’aller et venir, de lire, de s’exprimer sans censure, de faire l’amour pour le simple plaisir s’assimilait à l’air du temps : on en jouissait sans en avoir conscience, sans prendre la mesure de leur possible évanescence.
Or, sous prétexte de la nécessité d’un état d’urgence pour cause de terrorisme réel ou supposé, des Gardiens de la Foi vont enlever June (Elisabeth Moss, stupéfiante de bout en bout), non pas pour son passé d’éditrice de livres universitaires, mais parce que, mère d’une petite Hannah, elle a deux ovaires qui fonctionnent et peuvent procréer pour des familles en mal d’enfant.
Rituellement violée chaque mois, lorsque son corps présente les meilleures chances de concevoir un enfant, June a deux vers qui lui viennent en tête : « Tu entres en moi comme un crochet dans un œil/Un hameçon dans un œil ouvert »… Elle ne s’appelle d’ailleurs plus June, à ces moments-là, mais « deFred », étant devenue la propriété, l’utérus à deux pattes dont se sont dotés le commandant Fred et sa femme Serena.
Comment lutte-t-on contre la déshumanisation ? Comment survit-on à la folie que suppose cette forme de viol étatisé ? Accompagnant la beauté cinématographique de cette Servante écarlate, la voix intérieure de June – une voix off parfaitement adaptée à ce récit – va créer son propre récit, celui des souvenirs heureux pour fuir l’horreur du présent, celui de la compagnie que l’on se crée avec soi-même pour s’adjurer de « ne pas se laisser anéantir par ces bâtards », celui d’une forme de fierté d’honorer la condition humaine, en quelque sorte, en entrant en résistance… Au moins intérieurement.
La Servante écarlate, saison 1, série créée par Bruce Miller. Avec Elisabeth Moss, Yvonne Strahovski, Alexis Bledel, Samira Wiley (EU, 2017, 10 × 52 minutes).