« Transfiguration » : la solitude d’un vampire afro-américain
« Transfiguration » : la solitude d’un vampire afro-américain
Par Mathieu Macheret
Michael O’Shea mêle adroitement les codes du film d’horreur et du « teen Movie ».
Bien qu’antérieur au mémorable Get Out, de Jordan Peele, Transfiguration est le deuxième film américain sortant sur les écrans français, qui emploie les codes du cinéma d’horreur pour traduire le malaise psychosocial d’un héros afro-américain. Plus fragile, plus intime, ce premier long-métrage d’un débutant de 44 ans, Michael O’Shea, présenté à Cannes en 2016 (Un certain regard), n’a ni le mordant ni la force de frappe de son successeur. Pourtant, sa relecture du mythe du vampire à l’aune d’un certain cinéma indépendant new-yorkais n’en déniche pas moins, malgré ses maladresses, une tonalité particulière, celle d’une sentimentalité blême aux reflets lugubres.
Milo (Eric Ruffin) est un garçon de 14 ans mal dans sa peau, vivant seul avec son grand frère dans une cité-dortoir du Queens, à New York. Renfermé, malingre et haut comme trois pommes, il est tabassé par ses camarades de classe et rabroué par les gangsters du quartier. Dans son isolement, il nourrit une passion pour les films de vampires. Ce n’est pas aux victimes, mais aux monstres qu’il s’identifie, au point de passer à l’acte, mordre des badauds au hasard et développer une soif irrépressible de sang. Toutefois, l’arrivée dans son immeuble de Sophie (Chloe Levine, au visage à la fois poupin et fatigué), une adolescente à la dérive, dérange bientôt ses virées clandestines.
Tourné dans une photographie crapoteuse, Transfiguration intrigue d’abord par l’étrange caractérisation qu’il donne d’un Milo pathétique et inquiétant, agresseur improbable, incarnant le dernier degré d’une marginalité sur laquelle se déverse toute sa violence. S’il ne mord que des Blancs, ce n’est pas par racisme, mais parce que l’insidieuse ségrégation urbaine fait de ceux-ci des proies distantes et donc privilégiées.
Prédation latente
Cette logique socio-vampirique est bientôt contrariée par celle du teen movie : Sophie et Milo tombent amoureux, projettent de s’évader. Le sentiment suspend la violence, mais la rend encore plus inéluctable (Sophie a tout d’une victime potentielle), créant dans la béance un curieux mélange de candeur et de prédation latente.
Malheureusement, le film s’enferre dans cette hésitation et, à force de surplace, finit bientôt par se déliter. La mise en scène, pas toujours très inspirée, parfois erratique, se laisse aller aux afféteries standards du style « indépendant » : une caméra portée qui voudrait créer une sensation de pris sur le vif, mais ne sait toujours pas très bien ce qu’elle filme. Lors d’une discussion entre les adolescents sur les bons films de vampires, Milo reproche à la saga Twilight de n’être pas assez « réaliste ». C’est sans doute ce qui manque à Transfiguration pour vraiment convaincre : une part fantasmatique qui le conduise à inventer une forme qui n’appartienne qu’à lui, plutôt que de s’appuyer sur les conventions émoussées d’un réalisme à la petite semaine.
TRANSFIGURATION - Bande-annonce officielle
Film américain de Michael O’Shea. Avec Eric Ruffin, Chloe Levine, Aaron Clifton Moten, Carter Redwood (1 h 37). Sur le web : www.arpselection.com,