Les députés rétablissent d’une courte majorité le « verrou de Bercy »
Les députés rétablissent d’une courte majorité le « verrou de Bercy »
Par Manon Rescan
Lors d’une séance agitée, l’alliance inédite entre tous les groupes d’opposition et le MoDem n’a pas suffi à lever partiellement le dispositif.
Carole Bureau-Bonnard (LRM), présidente de séance le 25 juillet, a été la cible de la bronca d’une partie des députés. | Thomas Padilla/MaxPPP
De onze petites voix. Pour la première fois depuis le début de la législature, la majorité a été courte, mardi 25 juillet au soir, à l’Assemblée nationale. Les députés poursuivaient l’examen du projet de loi restaurant la confiance dans l’action publique et abordaient la question du « verrou de Bercy ».
Après avoir balayé un amendement qui proposait la suppression pure et simple de ce dispositif qui octroie à l’administration le monopole des poursuites pénales en matière fiscale, les députés se prononçaient sur une disposition, adoptée à l’unanimité au Sénat, proposant sa levée partielle.
Cette proposition a fait l’objet d’une bataille rassemblant, fait rare, plusieurs groupes parlementaires d’ordinaire opposés. En début d’après-midi, un casting peu habituel tenait ainsi une conférence de presse commune. Charles de Courson, député des « constructifs », s’affichait tout sourire aux côtés d’élus de La France insoumise (LFI), du groupe Nouvelle Gauche et de communistes pour la défense de cette disposition.
Leur alliance reposait notamment sur une fragilité révélée lors du vote en commission. La proposition du Sénat n’y avait été rejetée que d’une voix, après plusieurs recomptes. Une majorité d’un cheveu, qui permettait aux oppositions, à qui s’est associée une partie des Républicains (LR), de tenter de nouveau leur chance de mettre en minorité le gouvernement.
Dans l’Hémicycle, ils ont bénéficié, en outre, d’un soutien de poids, celui du MoDem, allié de la majorité, dont la position a été défendue par la magistrate Laurence Vichnievsky. Cette dernière a insisté, reprenant les mots de Jean-Luc Mélenchon, sur le « fait politique » que constituait cette décision.
Le groupe majoritaire s’était, lui, rangé derrière l’avis de la rapporteure Yaël Braun-Pivet (LRM) et de la ministre de la justice, Nicole Belloubet, qui opposaient à cette mesure l’assurance de la création rapide d’une mission d’information sur cette question, avec le soutien du président de la commission des finances, Eric Woerth (LR). Une réponse classique, fustigée par l’opposition. « Ça fait vingt-cinq ans que ça dure », s’est agacé Alexis Corbière (LFI).
« Faire vivre le débat sans drame »
Le vote a finalement révélé des positions plus disparates au sein du groupe La République en marche (LRM). Si l’amendement a été rejeté, douze députés LRM ont voté avec l’opposition et le MoDem, tandis que dix autres se sont abstenus. Rare dans un groupe qui revendique depuis sa création une volonté de régler les divergences en interne, afin d’afficher une position de vote commune.
« On crée un conflit inutile avec le partenaire du MoDem », indique, pour justifier son vote, François-Michel Lambert, qui fait partie de ceux qui étaient favorables à cet amendement. « Ce sont des questions complexes, il est normal que chaque député se forge sa conviction », défend pour sa part Stanislas Guérini, porte-parole du groupe LRM. « Qu’on apprenne à faire vivre le débat sans drame », renchérit Marc Fesneau, président du groupe MoDem.
« Certains s’aperçoivent peut-être que, jusqu’ici, Bercy les a baladés dans les grandes largeurs et qu’il leur appartient de se donner des marges, pas de les attendre du gouvernement », observe pour sa part Olivier Faure, à la tête du groupe Nouvelle Gauche. Le groupe LRM a tenté d’en donner les gages, quelques heures plus tard, en votant collectivement, contre l’avis de la ministre, un amendement du groupe socialiste proposant d’interdire qu’un collaborateur parlementaire puisse être également rémunéré par un lobby.
Si le débat a pu avoir lieu dans l’Hémicycle, il était pourtant mal engagé, mardi après-midi. La vice-présidente de l’Assemblée qui officiait au perchoir, Carole Bureau-Bonnard, a été la cible de la bronca d’une partie des députés. Echaudés par les débats déjà tendus de la veille, des élus, en particulier communistes, socialistes et de La France insoumise, lui ont reproché ses méthodes de distribution de la parole et d’organisation de la discussion.
« Ici, on n’est pas dans une phase d’apprentissage, on fabrique la loi », a lancé Philippe Gosselin (LR) à celle qui, députée débutante, était constamment accompagnée par un haut fonctionnaire du Palais-Bourbon pour l’aider à arbitrer les débats. « C’est la preuve qu’on ne s’improvise pas présidente de l’Assemblée nationale », note le socialiste Olivier Dussopt, auteur de plusieurs rappels au règlement. « La meute a senti le sang », résume un député chasseur, agacé de l’attitude de certains parlementaires aguerris face à une novice.
« Il est normal qu’il y ait du rodage chez les nouveaux députés mais il y a aussi une forme de bizutage de la part de l’opposition », a déclaré, mercredi matin, sur LCI, François de Rugy au sujet de cet incident. Pour remettre de l’ordre dans une séance paralysée, le président de l’Assemblée nationale avait été contraint d’intervenir lui-même, mardi après-midi, en remplaçant, au débotté, sa collègue au perchoir. Un retour qui avait immédiatement restauré le calme dans l’Hémicycle.
Le « verrou de Bercy »
Le « verrou de Bercy » est une expression qui désigne le monopole qu’exerce le ministère du Budget en matière de poursuites pénales pour fraude fiscale. En France, ni un procureur ni une partie civile ne peuvent déposer plainte contre un individu soupçonné de malversations fiscales, seul Bercy dispose de ce droit. Ce dispositif dérogatoire au droit commun a été mis en place dans les années 1920 et fait l’objet de critiques récurrentes, notamment depuis l’affaire Cahuzac.