A Shanghaï, un pâtissier français détenu depuis cinq mois pour une affaire de farine périmée
A Shanghaï, un pâtissier français détenu depuis cinq mois pour une affaire de farine périmée
Par Simon Leplâtre (Shanghaï, correspondance)
Une entreprise française est accusée d’avoir vendu un « produit frelaté ». Laurent Fortin, en prison depuis quatre mois, dénonce une méprise. Son patron, lui, a quitté la Chine.
Il y a moins d’un an, fin décembre 2016, Laurent Fortin, pâtissier originaire de l’Eure, s’envolait pour Shanghaï afin de diriger la production d’une petite usine de pain et de pâtisserie de luxe. Il a passé quatre mois à l’usine, et cinq en détention. Le 23 mars, il était arrêté aux côtés d’une dizaine d’employés de l’entreprise Farine Bakery, accusés d’avoir utilisé de la farine périmée. Le patron, Franck Pécol, a réussi à quitter la Chine après un premier interrogatoire, deux jours plus tôt. Pour Pékin, l’affaire ressemble à un nouveau scandale sanitaire : les autorités sont déterminées à être fermes. Pour Laurent Fortin, c’est un enfer qui commence.
Le Français de 48 ans est détenu dans une cellule où il dort à même le sol. Dans la seule lettre parvenue à sa famille, datée du 17 juillet, il parle de « terribles douleurs dorsales ». Pour le reste, il prend son mal en patience : « Mentalement, mon cerveau a fini par accepter la situation malgré cette terrible injustice. En effet ma détention pour cette affaire devient grotesque et ridicule. Cette affaire ne me concerne pas, c’est celle de ma direction. »
Depuis, les services du consulat français à Shanghaï ont réussi à lui obtenir… une chaise. Jeudi 17 août, la diplomatie française a pu échanger avec les autorités chinoises, pour demander la libération sous caution de Laurent Fortin, en attendant un procès qui doit avoir lieu en fin d’année, raconte son frère David : « On aura difficilement un dénouement tant que M. Pécol n’aura pas regagné la Chine. »
« In flour we trust »
Officiellement, Laurent Fortin est suspecté, aux côtés des autres employés de l’entreprise Farine Bakery, de « fabrication et vente d’un produit frelaté ». Ces salariés risquent gros : entre deux et quinze ans de prison. Les peines de prison dépendent des bénéfices réalisés par l’entreprise, et Farine Bakery se trouve dans la fourchette haute définie par la loi.
L’affaire remonte au 22 mars dernier. Un ancien employé publie anonymement des vidéos dénonçant les conditions d’hygiène dans une des boulangeries de l’entreprise. Les vidéos prises au smartphone ne sont pas claires, mais on aperçoit des tâches brunes dans de la farine, de la moisissure, selon l’employé. Publié sur Weibo, l’équivalent chinois de Twitter, l’article suscite des milliers de réactions. A Shanghaï, les boulangeries Farine Bakery se sont fait connaître dans le haut de gamme, et le slogan « In flour we trust » (« nous croyons dans la farine »), reste en travers de la gorge de beaucoup de clients.
Les autorités sanitaires de la ville découvrent alors dans les boutiques du groupe des sacs de farine dont la date est dépassée. La police soupçonne Farine Bakery d’avoir acheté des produits au rabais, parce qu’ils étaient proches de la date de péremption. Quelques jours plus tôt, Shanghaï venait de mettre en application les règles les plus sévères du pays en matière de sûreté alimentaire. Le nouveau texte comprend des mesures d’hygiène drastiques, notamment sur les dates de péremption. En cas d’infraction, les peines sont alourdies. Par ailleurs, des récompenses sont promises à ceux qui dénonceraient des abus : les lanceurs d’alerte peuvent recevoir jusqu’à 300 000 yuans (38 000 euros).
« Il y a quelqu’un en prison à sa place »
A l’époque, Farine Bakery se défend dans un communiqué. « Nous importons notre farine de France, et la stockons dans un entrepôt à Shanghaï. A cause d’un retard pour l’ouverture de notre cuisine centrale de Minhang, notre stock de farine a dépassé la date d’expiration de quelques mois (…). C’est clairement une erreur, mais nous avons obtenu des tests en laboratoire de notre fournisseur pour prouver que la farine est saine. »
Le problème est l’utilisation en France de la formule « à consommer de préférence avant le », qui ne veut pas dire que les produits périment à la date indiquée. Mais la Chine ne fait pas cette différence. « Selon la loi chinoise, il n’existe pas de notion officielle d’“à consommer de préférence” », il n’y a que « la période de la garantie de qualité », explique Ma Hongtao, l’avocat de Laurent Fortin. « Si quelqu’un a utilisé des produits dépassant la période de la garantie de qualité, la loi considère qu’ils ont enfreint l’article 140 du droit pénal de la République populaire de Chine. »
Après avoir joué la discrétion dans un premier temps, sur les conseils du consulat, la famille a décidé de faire du bruit pour accélérer les choses. Les Fortin ont lancé une pétition en ligne, adressée au président de la République, avant d’alerter les médias cette semaine. L’Elysée a finalement réagi, assurant que le Quai d’Orsay s’occupait de l’affaire.
Pour autant, les proches de Laurent Fortin ne cachent pas leur inquiétude et leur animosité envers le patron de Farine Bakery, Franck Pécol. « Il ne nous a jamais contactés. C’est moi qui ai trouvé son numéro, en passant par sa famille. Ensuite, il me répondait une fois sur deux. Il m’a toujours plaidé l’impossibilité pour lui de retourner à Shanghaï. Il y a quelqu’un en prison à sa place, pourquoi irait-il ? », soupire David Fortin. M. Pécol n’a pas répondu aux sollicitations du Monde.