Emmanuel Macron et Angela Merkel, à Tallinn (Estonie), le 28 septembre 2017. / JANEK SKARZYNSKI / AFP

Ils se tiennent par les bras, se regardent dans les yeux en souriant. Derrière Emmanuel Macron et Angela Merkel, un copieux buffet, probablement celui du Swiss Hotel de Tallinn où les deux dirigeants se sont rencontrés, jeudi 28 septembre au soir, pour un entretien d’une grosse demi-heure. La photographie a été postée sur le compte Instagram de la chancelière allemande quelques minutes plus tard, avec un objectif transparent : mettre en scène, de nouveau, leur complicité.

Le président français s’était déplacé en Estonie à un dîner des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union (suivi, vendredi, d’un sommet consacré au numérique), afin de tester la réaction de ses pairs à son discours fleuve de la Sorbonne. Sont-ils prêts à embrasser sa vision « à dix ans », pour refonder une Union « souveraine, unie, et démocratique » ? L’accueil qu’ils lui ont réservé était plutôt bon, intéressé. Mais pour autant pas enthousiaste.

Très attendue, la réponse de la chancelière Merkel a été une des plus positives. « France is back on stage [la France est de retour sur le devant de la scène] », lui a-t-elle confié en anglais lors d’un tête-à-tête d’une demi-heure, peu avant le dîner. Le discours volontariste du chef de l’Etat constitue « une nouvelle impulsion », « une bonne base de discussion » pour l’avenir de Europe, a-t-elle par ailleurs estimé devant la presse. « Je suis convaincue que l’Europe ne peut pas rester immobile », a ajouté la chancelière.

« Eviter le piège de la division »

« L’ambiance [de leur rendez-vous] était très bonne. La chancelière avait étudié de près le discours, et a estimé que sur les sujets défense et migration, des avancées rapides pourraient être constatées », se félicitait une source élyséenne, jeudi soir. « Le président et la chancelière ont évoqué les sujets liés à l’intégration plus poussée de la zone euro, en reconnaissant leurs différences. Ce ne sera pas un sujet facile […] mais ils ont voulu ce soir se concentrer sur leurs convergences », ajoutait-on dans l’entourage du chef de l’Etat.

Pour autant, rien de concret ne pourra avancer sur le front franco-allemand tant qu’à Berlin la chancelière ne sera pas parvenue à bâtir une acrobatique coalition gouvernementale avec les Verts et les libéraux du FDP. Cela pourrait prendre deux mois, a-t-elle confié au président français. Les dirigeants de l’Union ont eux aussi, pour la plupart, apprécié que Paris prenne à nouveau ses responsabilités européennes, après la longue éclipse du quinquennat Hollande.

« Tout le monde écoute Macron avec intérêt, trouve qu’il fait du bon travail en France », confie un diplomate bruxellois. Pour autant, ses pairs restent prudents. Parmi les multiples réformes proposées par le président français à la Sorbonne, certaines divisent. Xavier Bettel, le premier ministre luxembourgeois, s’inquiète de cette suggestion de conditionner l’accès aux fonds de cohésion, destinés aux régions les plus pauvres, à la convergence fiscale.

L’idée d’introduire des listes transnationales aux élections européennes n’emballe pas non plus, les petits pays craignant d’y perdre en nombre d’élus à envoyer à Strasbourg. Seules l’Italie et la Grèce auraient marqué leur intérêt jusqu’à présent. La méthode recommandée par M. Macron, la convocation d’un « groupe de pays de la refondation », mérite d’être précisée. « Il faudrait éviter de tomber dans le piège de la division », estimait un dirigeant en « off » jeudi soir.

« Il y a des dirigeants qui sont frileux à l’idée de lancer des débats nationaux sur l’Europe en ce moment », estime un diplomate bruxellois

« Le risque, avec cette vision à dix ans, c’est d’être trop ambitieux, de casser la dynamique à l’œuvre depuis le sommet de Bratislava organisé dans la foulée du Brexit. Par exemple, on est tout près d’un accord sur le fonds de secours à constituer dans le cadre de l’Union bancaire », estimait ces derniers jours un officiel européen. « Attention à éviter les mirages dans le désert », a twitté la présidente lituanienne, Dalia Grybauskaité, juste avant le dîner de Tallinn.

Adopter une perspective de long terme, consulter les citoyens dans le cadre de conventions démocratiques comme le préconise M. Macron ? « Il y a des dirigeants qui sont frileux à l’idée de lancer des débats nationaux sur l’Europe en ce moment », souligne un diplomate bruxellois.

Ainsi du Néerlandais Mark Rutte, qui n’est toujours pas parvenu à former un gouvernement six mois après les législatives. Mais aussi des Italiens, déjà en campagne pour leurs élections générales de 2018, ou des Autrichiens, qui votent pour leurs députés le 15 octobre. Sans parler du gouvernement Rajoy, en Espagne, piégé par un bras de fer à haut risque avec les indépendantistes catalans. Preuve qu’il n’a pas la tête aux réformes européennes : le premier ministre espagnol a préféré rester à Madrid jeudi, trois jours avant le référendum organisé par Barcelone.

A la fin du dîner, Donald Tusk, le président du Conseil européen, s’est quand même engagé à « consulter les dirigeants dans les deux prochaines semaines » sur la méthode à choisir pour poursuivre la réflexion sur l’avenir de l’Union. « Une dynamique est enclenchée », s’est-on félicité côté français.