La chanteuse, musicienne et compositrice Anne Sylvestre. / DAVID DESREUMAUX

Anne Sylvestre aime les anniversaires et l’assume dans le savoureux lexique intime qu’elle livrait en 2014, Coquelicot et autres mots que j’aime (Seuil, « Points »). Si elle n’aime pas les surprises, elle y précise : « je préfère me réjouir d’avance du plaisir que j’aurai et, pour plus de sûreté, souvent j’organise à mon goût les fêtes à moi destinées. » Est-ce pour cela qu’après avoir convié ceux qui communient avec sa poésie farouche, son verbe juste et son humanisme généreux à partager ses 40 ans de scène à l’Olympia, ses 50 ans au Trianon, elle les invite à fêter 60 ans de rendez-vous précieux au 13e Art, du 6 au 10 octobre ?

Le programme n’aura rien d’une rétrospective. Pas le genre de la dame qui veut juste mêler des chansons que le public espère et d’autres qu’elle entend faire vivre encore, récentes ou non. L’essentiel est que la communion ait lieu. Comme depuis six décennies, malgré le trac, tant l’instant est fort. « Le plus inquiétant , c’est que j’y ai pris de plus en plus de plaisir et que ce n’est pas fini... »

La jeune fille timide qui entraîne ses camarades à chanter lors de ses années de scoutisme, plus tard lors des soirées à l’école de voile des Glénans, dans le Finistère, sait ce qu’elle doit à Francine Cockenpot, qui signa en 1943 la mélodie de Colchiques dans les prés, que chacun tient pour un air traditionnel. Comme le choc que fut pour elle la découverte de Nicole Louvier, (1933-2003), première femme auteure-compositrice-interprète à s’imposer, avant Hélène Martin, dans un monde masculin. De quoi vaincre la peur de proposer ses propres compositions, grâce à Michel Valette, qui invite à La Colombe, sur l’île de la Cité la fine fleur de la chanson à textes.

Trois complices

Elle, qui y commença en 1957, seule avec sa guitare, a depuis renoncé à cette rassurante protection pour dialoguer avec un piano ou une contrebasse, et a élu désormais trois complices : Nathalie Miravette (piano), Isabelle Vuarnesson (violoncelle) et Chloé Hammond (clarinettes). La « triade » était déjà présente au Casino de Paris en mai 2013 pour la présentation de l’album Juste une femme.

Anne Sylvestre, 83 ans, ne remonte pas sur scène : elle ne l’a jamais désertée et sans doute est-ce ce rendez-vous avec le public qui la pousse à écrire encore, elle qui livrait, dès 1985, une sobre profession de foi : Ecrire pour ne pas mourir, autant un baume salvateur qu’un gage de survie.

Anne Sylvestre en concert LES GENS QUI DOUTENT
Durée : 02:28

Car c’est sur scène que tout se joue, que les textes qu’elle cisèle avec une science d’orfèvre prennent tout leur sens, histoires simples qui sont autant de confidences pour celle qui voit le monde sans fard ni préjugés. On a beaucoup ramené les sujets de ses chansons à des enjeux sociologiques, de la question de l’avortement à celle du mariage pour tous. Mais Non, tu n’as pas de nom (1974) est d’abord un plaidoyer pour le libre choix et Gay, marions-nous (2007) une charge réjouissante contre les conservatismes.

Une femme d’engagement

Pas besoin de transformer la dame en visionnaire toujours en avance sur la conscience collective. Anne Sylvestre n’a pour cible que la bêtise, la frilosité, les préjugés qui menacent le bonheur, étouffent la joie, ferment les cœurs. Avec ses histoires et ses mots, elle réveille un public qu’elle dépayse littéralement. Par ses personnages, aux prénoms délicieusement hors mode – Jules, Mariette, Lazare, Bertille ou Clémence –, et ses clins d’œil à un univers rural qui joue de la fable et de la tradition comme ses mélodies si évidentes qu’elles semblent sans âge et ne masquent jamais le propos. Le lexique gourmand qu’elle emploie pour la sonorité, la malice ou la polysémie qu’il permet, déjoue le vocabulaire à la mode pour délivrer les pistes d’une sagesse pérenne.

Des messages ? Peut-être puisque Anne Sylvestre est une femme d’engagement, mais rien qui appelle à la révolte ou la mobilisation. La prise de conscience est autrement efficace qui modifie le regard et conjure la sottise et le postulat abrupt. Sans doute est-ce là la magie de celle qui ne se veut qu’Une sorcière comme les autres (1975). Juste une femme, résume celle qui a compagnonné avec Pauline Julien (Gémeaux croisés, 1987), donné à son amie Michèle Bernard (« ma petite sœur ») le rôle de Flonflon dans le conte musical Lala et le cirque du vent (1993) et misé sur un Carré de dames avec Agnès Bihl, Nathalie Miravette et Dorothée Daniel (2012). La seule justification à être Le Centre du motif (1977) : « Je suis le centre du motif/Chaque fil est une tendresse/Chaque fil avec moi se tresse/Me prend ce que j’ai de plus vif ».


Le 13e Art, Centre commercial Italie 2, place d’Italie, Paris 13e. Les 6, 7 et 10 octobre à 19 heures, le 8 à 17 heures.
www.annesylvestre.com