A Calais, le passage en Angleterre reste toujours l’objectif pour quelque 700 migrants
A Calais, le passage en Angleterre reste toujours l’objectif pour quelque 700 migrants
Par Léa Sanchez (à Calais)
Le 24 octobre 2016, la « jungle » de Calais était démantelée. Un an après, la ville portuaire et ses environs demeurent toujours un point de fixation pour les migrants.
Des migrants se rassemblement près de l’ancienne « jungle », le 14 octobre. / FRANCOIS LO PRESTI / AFP
« Aujourd’hui, il y a des bonnets ! », lance une bénévole aux migrants attendant à l’arrière de la camionnette d’Utopia 56, une association humanitaire qui intervient notamment à Calais. Après avoir servi des repas chauds à une soixantaine d’exilés, plusieurs volontaires distribuent des affaires pour lutter contre le froid et le vent qui s’abattent sur la cité portuaire.
« La ligne, respectez la ligne », répète (en anglais) Pierre, bénévole venu de Bretagne. Il sourit face aux jeunes hommes qui, à l’avant de la file, s’amusent à se bousculer en attendant le début de la distribution. « You’re the boss ! » (« tu es le chef ! »), dit l’un d’entre eux, hilare, au quinquagénaire.
Pierre vient prêter main-forte à Calais depuis plusieurs années. Un an après le démantèlement de la « jungle » — le bidonville dans lequel s’entassaient plus de 7 000 migrants —, il dit son inquiétude quant à l’avenir des quelque 700 exilés qui errent aujourd’hui, dispersés, dans la préfecture du Pas-de-Calais et ses environs. Essentiellement de jeunes hommes — la moyenne d’âge est de 21 ans, mais il y aurait une centaine de mineurs — qui viennent majoritairement d’Afghanistan, d’Erythrée et d’Ethiopie.
De quoi manger et de quoi se vêtir
La situation n’est pas simple à gérer car, depuis le démantèlement, de la « jungle », à la fin d’octobre 2016, il n’existe plus de point fixe où les migrants puissent s’abriter, se nourrir, se soigner et bénéficier de l’aide humanitaire disponible. Désormais, les bénévoles doivent se déplacer de point de distribution en point de distribution pour fournir aux exilés de quoi manger et de quoi se vêtir. En tout, il y a quatre lieux de rendez-vous où les migrants, souvent regroupés par nationalités, attendent les camionnettes, deux fois par jour.
Durant ces moments, les bénévoles essaient, tant bien que mal, de repérer les problèmes sanitaires, qui se multiplient : la gale est très présente, et certains sont atteints de la varicelle — une maladie contagieuse qui peut être grave chez l’adulte. Rien qu’au cours des deux dernières semaines, cinq cas de varicelle ont été diagnostiqués. Des cas de tuberculose ont aussi été signalés.
Lors d’une conférence de presse, le 20 octobre, convoquée par les associations d’aide aux migrants présentes sur Calais, l’organisation humanitaire Médecins du monde a notamment déploré des « conditions sanitaires catastrophiques, pires que pendant la “jungle” ». La semaine dernière, des experts de l’ONU ont eux aussi dénoncé le manque d’accès à l’hygiène, notamment à l’eau potable et à des installations sanitaires.
« Comme les poilus dans les tranchées »
A un autre point de distribution, juste à côté d’une clinique de la ville, une mini-infirmerie se met en place à ciel ouvert. Vêtue d’une chasuble Utopia 56, Marie étale une pommade sur les pieds infectés d’un migrant. « C’est comme la maladie qu’avaient les poilus dans les tranchées, s’indigne la jeune étudiante en médecine, elle aussi venue de Bretagne. Quand on voit les conditions dans lesquelles ils vivent, franchement, ça donne honte d’être français. »
De nombreux migrants dénoncent également les actions des forces de l’ordre, souvent accusées de violences lors des opérations de dispersion. « Je n’arrive pas à dormir », témoigne Jabbar, un Afghan de 23 ans, Omar, 16 ans, ajoutant : « Les policiers, ça arrive souvent qu’ils mettent du gaz lacrymogène quand on dort. »
D’après les associations qui leur viennent en aide, les migrants fuient le plus rapidement possible quand la police intervient et que leurs abris sont détruits, abandonnant leurs affaires sur place. Khaled, un Afghan qui a séjourné quelque temps à Paris, « à côté de la gare de l’Est », confirme d’un air fatigué : « Nous n’avons pas d’endroit où dormir ou pour manger, rien du tout. »
« Un véritable déni de réalité des autorités »
Beaucoup veulent rejoindre un proche en Angleterre, souvent un oncle ou un cousin. D’autres ont été déboutés de leur demande d’asile, ou ont déjà déposé leur dossier et laissé leurs empreintes digitales dans le premier pays européen où ils sont arrivés, conformément au « règlement Dublin ». Ils ne veulent pas y être renvoyés.
« Il y a un véritable déni de réalité des autorités à leur sujet, il va bien falloir qu’on accepte de les laisser se poser quelque part », dit Vincent de Coninck, chargé de mission pour le Secours catholique du Pas-de-Calais, qui dénonce les « conditions de vie abominables » des exilés.
Comme d’autres responsables associatifs, il aimerait que l’Etat « change son fusil d’épaule » en matière de politique migratoire. D’autant plus que l’hiver arrive : « Nous lançons un appel aux citoyens : nous avons besoin de couvertures, de chaussures, et que les gens s’engagent vraiment pour changer les choses », dit Gaël Manzi, d’Utopia 56.
Au point de distribution, toutes les affaires réparties entre les migrants sont le fruit de dons. A peine leur bonnet reçu, les jeunes gens l’enfoncent sur leur tête pour se réchauffer. Quelques-uns se les échangent. « Est-ce qu’il me va bien ? », demande un Ethiopien, l’air coquet. Il a la vingtaine, un visage juvénile, et un seul désir : réussir à passer en Angleterre, enfin.