Le tribunal pour l’ex-Yougoslavie entre dans l’Histoire
Le tribunal pour l’ex-Yougoslavie entre dans l’Histoire
Par Stéphanie Maupas (La Haye, correspondance)
Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, à La Haye, a officiellement fermé ses portes le 21 décembre, au cours d’une cérémonie en présence du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres.
Le Secrétaire général de l’ONU lors de la cérémonie de clôture du TPIY au Ridderzaal, la salle des chevaliers située dans l’enceinte du parlement néerlandais à La Haye. / Phil Nijhuis / AP
En près d’un quart de siècle, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), créé par les Nations unies pour poursuivre les plus hauts responsables des guerres fratricides qui secouèrent les Balkans au début des années 1990, aura condamné quatre-vingt-dix responsables de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre.
Au cours d’une cérémonie de clôture, jeudi 21 décembre, dans la Ridderzaal, la « salle des chevaliers » située dans l’enceinte du Parlement néerlandais, à La Haye, le secrétaire général de l’Organisation des nations unies, Antonio Guterres, a évoqué plus de dix mille jours de procès, et l’audition de cinq mille témoins.
Au cours de cette cérémonie, l’actrice serbe Mirjana Karanovic a lu un extrait de l’un de ces témoignages ; la dernière lettre de Mohamed Cehajic, détenu au camp d’Omarska, que son épouse lut à la barre du tribunal lors de son audition, en 2002, dix ans après avoir vu son mari pour la dernière fois. La lettre se concluait par ces mots :
« Je me rappelle qu’à cette époque, l’an dernier, nous nous réjouissions de la construction de notre maison, et voilà où nous en sommes aujourd’hui. Je me sens vide. J’ai l’impression de ne jamais avoir été vivant. J’essaye de résister à ce sentiment en me remémorant tous les beaux moments passés avec toi, les enfants et tous ceux qui me sont chers. J’en reste ici pour le moment car les forces me manquent. »
A la fin de la lecture, le juge président avait, à l’époque de ce témoignage, levé l’audience pour quelques minutes, la gorge nouée.
« L’architecture contemporaine de la justice internationale »
Si pour Antonio Guterres, le TPIY « lègue au monde un puissant héritage qu’il nous appartient de préserver », il reste fragile. Le jugement, en novembre, de Ratko Mladic, l’ancien chef des Serbes de Bosnie condamné à la prison à perpétuité pour le génocide de Srebrenica, le siège de Sarajevo, l’épuration ethnique en Bosnie-Herzégovine, et la prise en otage de personnels de l’ONU, et celui du Croate Slobodan Praljak, qui s’est suicidé en pleine audience après avoir entendu sa condamnation à vingt ans de réclusion confirmée, ont une nouvelle fois suscité le soutien de nationalistes de la région.
Pour le procureur, Serge Brammertz, le tribunal a rendu des jugements, et il appartient désormais « aux responsables politiques d’avoir le courage » de soutenir la justice, au-delà « des apparences ». Dénonçant la prise en otage des peuples par les politiques, Serge Brammertz a déclaré que « les dirigeants d[evai]ent se distancier des crimes, rejeter les criminels de guerre condamnés et cesser de se cacher derrière de fausses déclarations de culpabilité collective ». Las, le magistrat belge rappelle que « le tribunal juge la culpabilité des individus, pas des peuples ». Pendant près de vingt-cinq ans, dans le box des accusés ont défilé des ministres, deux chefs d’Etat, des officiers, des miliciens, serbes, croates, bosniaques, kosovars et macédoniens.
Pour Antonio Guterres, le TPIY « a créé l’architecture contemporaine de la justice internationale ». Lors de la création du tribunal par le Conseil de sécurité des Nations unies, en 1993, les diplomates espéraient pallier leur impuissance à établir la paix, mais personne n’y croyait vraiment. « C’est désormais une pratique commune d’appeler à ce que les auteurs soient traduits en justice », a souligné M. Guterres, avant de rappeler l’histoire de cette justice internationale.
Une nouvelle étape
Un an après la création du TPIY, le Conseil de sécurité créait le tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), qui a jugé les responsables du génocide des Tutsis. Sous des formes différentes, la communauté internationale créait ensuite le tribunal pour la Sierra Leone, celui pour le Cambodge, la Chambre pour les crimes de guerre au sein de la Cour d’Etat bosniaque, le tribunal du Timor-Oriental, le tribunal spécial pour le Liban, et récemment, le tribunal pour le Kosovo.
En 2002, la Cour pénale internationale était créée, pas dans le cadre d’un conflit unique, mais à vocation universelle. L’Union africaine a soutenu le procès d’Hissène Habré au Sénégal, et la création d’un autre tribunal en Centrafrique. A ce paysage de la justice internationale s’ajoute la compétence universelle, qui permet aux Etats de juger sur leur sol des auteurs de crimes de guerre étrangers.
« La justice n’est pas seulement une bataille contre l’impunité », a encore souligné le secrétaire général de l’ONU, il y a aussi les commissions vérité et réconciliation, dont celle créée dans l’Afrique du Sud post-apartheid reste le modèle. Enfin, la création en décembre 2016 du Mécanisme international, impartial et indépendant (M3I), établi par l’Assemblée générale de l’ONU — non sans controverses — pour préparer des dossiers clés en main censés permettre de poursuivre les auteurs de crimes commis en Syrie représente une nouvelle étape de la justice internationale. Pionnier de cette longue histoire, le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie appartient désormais à l’Histoire.