Au Venezuela, une présidentielle anticipée pour piéger l’opposition
Au Venezuela, une présidentielle anticipée pour piéger l’opposition
Par Paulo A. Paranagua
Dans un pays en ruine, Nicolas Maduro veut précipiter sa réélection d’ici à trois mois.
Le président vénézuélien, Nicolas Maduro et sa femme, Cilia Flores, lors d’un meeting à Caracas le 23 janvier. / JUAN BARRETO / AFP
Le pouvoir vénézuélien a créé la surprise en avançant la date du scrutin présidentiel, qui devrait avoir lieu avant le 30 avril. L’annonce a été faite, mardi 23 janvier, par l’Assemblée constituante, un organisme non reconnu par la communauté internationale, élue de manière frauduleuse et entièrement composée de partisans de l’ancien président Hugo Chavez (1999-2013).
L’initiative est partie du numéro deux du régime chaviste, le capitaine Diosdado Cabello, qui avait été sanctionné par l’Union européenne, lundi, avec six autres dignitaires. « Si le monde veut nous infliger des sanctions, nous allons organiser des élections, a-t-il justifié. Des pouvoirs impériaux et sans légitimité ont déclenché une campagne systématique de haine contre le Venezuela. » Le président, Nicolas Maduro, a réagi immédiatement en se disant prêt à briguer un nouveau mandat : « Je suis un humble travailleur, un humble homme du peuple. Si le Parti socialiste unifié du Venezuela [PSUV] croit que je doive être le candidat à la présidentielle du camp révolutionnaire, je me tiens à disposition. »
Négociation laborieuse
L’élection présidentielle était prévue à la fin de 2018 et faisait l’objet d’une négociation laborieuse à Saint-Domingue, entre le gouvernement Maduro et l’opposition. Le rendez-vous des négociateurs le 18 janvier avait été suspendu, après l’émoi suscité par la mort d’Oscar Pérez, un policier insurgé contre le président Maduro, pilonné par les forces de sécurité alors qu’il présentait sa reddition sur les réseaux sociaux. La date du scrutin, la durée de la campagne électorale et les conditions pour assurer une participation libre et équitable, sous surveillance internationale, étaient des points d’achoppement des négociations, selon le député Luis Florido, délégué de l’opposition à Saint-Domingue.
A en croire Luis Emilio Rondon, seul représentant de l’opposition au Conseil national électoral (CNE), trois mois sont insuffisants pour organiser un scrutin avec les garanties adéquates d’impartialité. Il a rappelé que « les scénarios électoraux sont une attribution exclusive du CNE ». La Constituante n’a pas de compétence en la matière, même si elle s’attribue tous les pouvoirs. Or, la réforme du CNE, pour assurer une représentation plus équilibrée, figure aussi à l’ordre du jour de Saint-Domingue. Les négociateurs de l’opposition ont proposé une dissolution parallèle de l’Assemblée constituante et du Parlement, seul organe contrôlé par les opposants. L’élection législative, en même temps que la présidentielle, laisserait la place à un seul Parlement.
L’anticipation de l’élection et le délai très court visent à profiter des divisions entre les opposants. Le social-démocrate Henry Ramos Allup, dirigeant du parti Action démocratique, estime que les opposants sont en mesure d’organiser des primaires pour choisir leur candidat dans un délai d’un mois. Lui-même serait un des postulants. L’ex-gouverneur Henri Falcon, ancien chaviste passé à l’opposition, autre postulant, prône plutôt une désignation du candidat par consensus. Cependant, Omar Barboza, le président social-démocrate du Parlement, a souligné que la Constituante n’a pas « la légitimité » pour convoquer des élections.
En outre, le régime a privé de ses droits civiques les principaux leaders de l’opposition, l’ancien candidat présidentiel Henrique Capriles Radonski et le détenu politique Leopoldo Lopez. Il a même menacé d’interdire leurs partis politiques, Primero Justicia (Justice d’abord) et Volonté populaire.
Le rejet de la convocation prime dans la communauté internationale. Réunis à Lima, 14 pays des Amériques et des Caraïbes ont exigé que « les élections soient convoquées avec le délai nécessaire, avec la participation de tous les acteurs politiques vénézuéliens et avec les garanties correspondantes ». Autrement, le scrutin n’aurait pas la moindre crédibilité. Le Mexique, qui fait partie du groupe de Lima, est allé plus loin : il a annoncé son retrait du « dialogue » de Saint-Domingue. De son côté, Washington a demandé le « retour de la démocratie » au Venezuela avec des élections « libres et justes ».
Embarras
L’opposition n’est pas la seule embarrassée par l’initiative du régime. Le chavisme aussi a ses fissures, d’autant que la crise prend une tournure de plus en plus déchirante avec l’hyperinflation qui réduit à néant le pouvoir d’achat, les pénuries d’aliments et de médicaments, l’explosion des violences et les saccages de magasins. La famine touche les plus pauvres, le socle de la base électorale d’Hugo Chavez. Et le nombre des dissidents ne cesse d’augmenter.
Ainsi, Rafael Ramirez, ancien ministre de l’économie, ex-tsar du pétrole vénézuélien, chaviste de la première heure, a mis au défi M. Maduro de se mesurer à lui lors de primaires. Le général Miguel Rodriguez Torres, ancien ministre de l’intérieur dont les ambitions présidentielles ne sont pas un mystère, fait campagne sur une ligne qui se prétend médiane entre le gouvernement et l’opposition. Le milieu d’affaires, mécontent avec l’effondrement économique, veut pousser la candidature de Lorenzo Mendoza, PDG du puissant groupe Polar (grande distribution et alimentation).
Toutefois, le chavisme n’a jamais organisé de primaires, contrairement à l’opposition. « Tous ceux qui veulent un changement doivent s’unir pour sortir de cette situation, a tweeté Henrique Capriles. Quelle que soit la décision, il doit y avoir unité. »