« Human Flow » : abri cinématographique pour vies mutilées
« Human Flow » : abri cinématographique pour vies mutilées
Par Murielle Joudet
L’artiste dissident Ai Weiwei rend compte de l’ampleur du drame des réfugiés à travers le monde.
On pouvait craindre que Human Flow appartienne à la catégorie de ces films documentaires humanitaires qui pèchent par excès de bons sentiments, parfois sur le dos de la cause censément embrassée, ici celle de la crise globale des réfugiés.
Dès les premières images, le film de l’artiste chinois de renommée mondiale Ai Weiwei, présenté en compétition à la Mostra de Venise en septembre 2017, dévoile une dimension universaliste et humaniste qui prend le risque de s’engouffrer dans la niaiserie. Les écueils sont heureusement contournés, du moins modérés, par l’impressionnant travail accompli et son évidente vertu pédagogique.
Connu pour son œuvre engagée, Ai Weiwei (sculpteur, photographe, performeur, blogueur) s’était d’ailleurs déjà attelé, à travers plusieurs installations, à évoquer le drame de cette humanité déplacée, notamment avec La Loi du voyage, un canot pneumatique long de 70 mètres avec, à son bord, 258 figures de réfugiés, ou lorsqu’il a entassé dans une salle de concerts berlinoise 3 000 gilets de sauvetage échoués sur l’île de Lesbos. Human Flow prolonge naturellement sous la forme cinématographique un désir de sensibilisation qui hante celui qui fut assigné à résidence et emprisonné dans son pays avant de pouvoir sortir du pays en 2015 et de s’exiler dans la capitale allemande.
Pour sortir du dispositif de l’installation et entrer de plain-pied dans le documentaire, pour rendre compte d’un tel phénomène, il a fallu missionner pas moins de 200 techniciens postés dans plus de 23 pays et 7 monteurs. En résulte un film de plus de deux heures, réalisé à partir de plus de mille heures de rushs, durée qui traduit le désir de tendre le plus possible vers une forme d’exhaustivité qui n’oublierait personne.
Afghanistan, Bangladesh, Irak, Israël, Allemagne, Kenya, France, Grèce ou Italie : la force du documentaire Human Flow est de disposer des moyens pour évoquer l’ampleur planétaire de la crise des migrants. Tout autour de la planète apparaissent des camps de réfugiés, des endroits où l’on n’est nulle part et où sévissent la peur et le désespoir. Dans tous ces lieux, le temps s’est arrêté, l’avenir n’existe pas, pas plus que l’intimité.
Visions apocalyptiques
Non sans défauts, la volonté d’exhaustivité de Human Flow l’oblige à la facilité formelle, en faisant se succéder les zones géographiques à la manière d’un catalogue. Mêlant enquête de terrain, extraits de poésie ou d’articles de presse et entretiens avec des experts, le documentaire court parfois le risque d’une dispersion confuse. On peut également regretter la présence de l’artiste superstar, qui se met en scène dans des séquences dispensables.
Pour autant, on ne peut qu’être saisi et longtemps hanté par ces visions apocalyptiques : des réfugiés harassés par des jours de marche et bloqués à la frontière gréco-macédonienne, une jeune fille prise en charge dans un centre à Berlin qui dit son envie de partir au plus vite parce qu’elle n’a jamais été si malheureuse, ou encore ce groupe d’adolescentes palestiniennes coincées dans cette prison à ciel ouvert qu’est la bande de Gaza. Ces longues marches, cette fatigue inconcevable, l’insalubrité dans laquelle vivent des millions de gens – bien qu’exilés pour des raisons différentes dans des lieux différents – forment, scène après scène, l’image déchirante d’une humanité indésirable.
On mettra donc de côté les quelques scories du film d’Ai Weiwei pour en retenir la mission, parfaitement remplie, de sensibilisation à une tragédie qui risque de durer et de s’aggraver sous le poids des facteurs politiques, économiques et écologiques.
Human Flow, comme d’autres documentaires existants ou à venir, a également le mérite d’arracher ces réfugiés à l’impitoyable grammaire des journaux télévisés. Il navigue plutôt savamment entre points de vue intimistes et macroscopiques, et parvient à offrir un abri cinématographique à ces vies mutilées.
Human Flow - réalisé par Ai WeiWei - Bande-Annonce
Durée : 02:27
Documentaire allemand et américain d’Ai Weiwei (2 h 20). Sur le Web : www.marsfilms.com/film/human-flow
Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 7 février)
- Jusqu’à la garde, film français de Xavier Legrand (à ne pas manquer)
- Atelier de conversation, documentaire autrichien, français et liechtensteinois de Bernhard Braunstein (à voir)
- Human Flow, documentaire allemand et américain d’Ai Weiwei (à voir)
- Le Voyage de Ricky, film d’animation allemand, belge, luxembourgeois et norvégien de Toby Genkel et Reza Memari (à voir)
- The Ride, documentaire français et américain de Stéphanie Gillard (à voir)
- Vivir y otras ficciones, film espagnol de Jo Sol (à voir)
- Cro Man, film d’animation britannique de Nick Park (pourquoi pas)
- England Is Mine. Steven Before Morrissey, film britannique de Mark Gill (pourquoi pas)
- Ni juge, ni soumise, documentaire français et belge de Jean Libon et Yves Hinant (pourquoi pas)
- Revenge, film français de Coralie Fargeat (pourquoi pas)
- Le Labyrinthe : Le Remède mortel, film américain de Wes Ball (on peut éviter)
- Stronger, film américain de David Gordon Green (on peut éviter)
Nous n’avons pas pu voir :
- Agatha, ma voisine détective, film d’animation danois de Karla von Bengtson
- Brodre : Markus et Lukas, documentaire norvégien et français d’Aslaug Holm
- Cinquante nuances plus claires, film américain de James Foley
- La Sculpture vivante, film français de Nguyen Tuong Hung
- Le 15 h 17 pour Paris, film américain de Clint Eastwood
- Rita & Crocodile, film d’animation danois et britannique de Siri Melchior
- Rosa & Darla, leur fabuleux voyage, film d’animation tchèque et français de Martin Duda, Natalia Chernysheva et Katerina Karhankova