Des mines à la « smart city » : comment un territoire lorrain tente d’échapper à son destin
Des mines à la « smart city » : comment un territoire lorrain tente d’échapper à son destin
Par Jessica Gourdon (Moselle, Meurthe-et-Moselle, envoyée spéciale)
Marqué par son passé industriel, le Val d’Alzette est devenu la banlieue dortoir d’une ville nouvelle du Luxembourg. Ce territoire du Grand Est tente de retrouver une âme en se positionnant comme vitrine du développement urbain durable.
Peut-on lutter contre beaucoup plus fort que soi ? C’est à cette question que tente de répondre le territoire du Pays Haut Val d’Alzette, qui rassemble huit communes à la frontière du Luxembourg, comme Audun-le-Tiche et Boulange, en Moselle, ou Villerupt, en Meurthe-et-Moselle. Elles ont connu leur heure de gloire dans les années 1950 et 1960, quand les mines de fer tournaient à plein régime et que l’immense complexe sidérurgique de Micheville employait 6 000 personnes pour fabriquer des rails et des pièces en acier. L’usine a fermé ses portes en 1986.
Après des années de crise et d’exode, le Val d’Alzette a vu son destin basculer grâce à une naissance inattendue : Belval, située à quelques minutes de voiture, côté Luxembourg. Une cité nouvelle, construite sur une ancienne friche industrielle, qui a connu, en dix ans, un essor spectaculaire, grâce à un investissement d’1,2 milliard d’euros du Grand-Duché.
Ici, des tours rutilantes abritent des banques, des sociétés informatiques, des centres de recherche. Un hôpital est en construction. Les restaurants font le plein à midi. Une nouvelle université va accueillir à la rentrée 7 000 étudiants de master et doctorat. L’usine désaffectée, intégrée à la ville, abrite une médiathèque de 19 000 m2.
Banlieue dortoir
Aujourd’hui, les deux tiers des actifs du Val d’Alzette travaillent côté luxembourgeois. Ces employés et cadres du tertiaire se sont mêlés à la population ouvrière et agricole vieillissante, et ont permis aux huit communes d’enrayer leur déclin démographique.
Mais ces néo-ruraux n’ont pas fait venir les entreprises. Car tel est le drame de ce territoire frontalier de 30 000 habitants : se faire aspirer ses ressources par un Luxembourg plus puissant et attractif fiscalement. D’un côté de la frontière : les emplois, le savoir. De l’autre : les cités ouvrières délabrées, les lotissements et les collectivités locales démunies. Alain Casoni, le maire de Villerupt, s’en désole : « La dynamique de métropolisation du Luxembourg aspire nos recettes, nos nouveaux habitants paient leurs impôts là-bas. Mais c’est à nous de payer les charges : les crèches, les équipements, les services, sans moyens. Belval, c’est une chance pour le territoire. Mais c’est aussi ce qui nous assèche. »
La ville nouvelle de Belval, au Luxembourg.
Dans ces conditions, le destin du Val d’Alzette semblait tracé : grâce à son foncier moins cher, ces villes allaient devenir une banlieue dortoir de Belval. Mais un jour de 2009, coup de théâtre : une opération d’intérêt national est annoncée par Nicolas Sarkozy, suivie, en 2012, de la création d’un établissement public d’aménagement (EPA).
Objectif ? Rééquilibrer le développement économique des deux côtés de la frontière, en faisant du territoire une « vitrine d’un périurbain durable », explique Jean-Christophe Courtin, son directeur. Et permettre la construction de 8 300 logements « écologiques » sur les friches industrielles, afin d’absorber la croissance luxembourgeoise.
Ecoquartier et bâtiments à énergie positive
En ce mois de février, les grues et les camions tournent à plein régime sur l’ancienne friche d’Arcelor. Mené par Linkcity, un premier écoquartier de 300 logements va mêler des bâtiments en bois à énergie positive, espaces verts, une résidence étudiante, des équipements partagés (salle de sport, panneaux solaires…). Le long des rues toutes neuves, les poubelles connectées sont déjà en place, et l’éclairage sera « intelligent » : il s’adaptera à la fréquentation de la rue. L’ambition est d’en faire un quartier dense, qui n’empiète pas sur les terres agricoles. Et aussi la vitrine d’un nouveau bois high-tech appelé Panobloc. Un pôle culturel avec salles de cinéma et de spectacle sortira bientôt de terre, ainsi que d’autres écoquartiers.
Pour accompagner ce développement, la communauté de communes est en train de créer une « plate-forme smart city » pour agréger des données produites sur tout le territoire par ses composantes (citoyens, entreprises, équipements). Objectif : aider la collectivité dans ses décisions, et attirer des entreprises ou des start-up afin qu’elles proposent de nouveaux services aux habitants. Le tout avec une « gouvernance publique de la donnée » encore à inventer, reconnaît Julien Vian, le directeur général des services (DGS) de cette collectivité.
Des maisons d’une cité ouvrière, à Villerupt (Meurthe-et-Moselle).
Territoire pionnier du biogaz
Mais c’est sur le volet énergétique que le Val d’Alzette se veut le plus novateur. Un système de chauffage utilisant la géothermie est à l’étude à Boulange. L’idée : profiter de l’eau qui stagne dans les couloirs des mines à une température de 13 °C, et en récupérer les calories pour alimenter un réseau de chaleur.
Dans la déchetterie, un projet pilote, attentivement regardé par les « majors » de l’énergie, va convertir des déchets verts en électricité et en chaleur, grâce à une petite éolienne. Cette chaleur servira à chauffer une serre de 1 000 m2 pour produire des légumes bio à destination des cantines.
Cette installation permettra aussi d’alimenter un système qui convertira l’électricité éolienne en hydrogène, puis en biométhane, grâce à l’ajout de dioxyde de carbone récupéré dans un méthanisateur de déchets agricoles. Ce biogaz « maison » servira à faire tourner cinq camions de la collectivité. Ce procédé, baptisé « power to gas », est embryonnaire en France, mais il est promis, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), à un bel avenir. Il veut résoudre l’un des défis principaux de l’énergie éolienne : le stockage et l’utilisation de l’électricité produite lorsqu’il n’y a pas de besoins directs, pendant la nuit par exemple.
« On veut être une vitrine pour ces technologies. Montrer que la production décentralisée d’énergie, c’est l’avenir pour les collectivités locales, et une source de revenus pour les agriculteurs, explique Julien Vian, qui regrette les délais pour obtenir des financements. Sur le biogaz, la France est en retard par rapport à l’Allemagne ou aux Pays-Bas. »
Le projet prévoit la construction de 8 300 logements sur le territoire.
Tous ces dispositifs visent à faire de cette dynamique de « vitrine » une source de développement du territoire. Tout en évitant que se crée une fracture entre ces nouveaux quartiers et le reste des villes, à la population pauvre et vieillissante. A quelques centaines de mètres, les étroites maisons ouvrières de Villerupt offrent un contraste saisissant. C’est pour cela que l’établissement public s’est lancé dans une opération d’acquisition ces maisons, souvent habitées par des veuves d’ouvriers. Objectif : les remettre aux normes, les isoler, casser des murs…
« Mais pour que tout cela marche, le défi sera de faire exister le lien social, de nourrir la vie associative », remarque Claudine Guidat, une chercheuse de l’université de Nancy qui étudie ce projet. De redonner à ce territoire, jadis marqué par sa culture ouvrière et sa forte immigration italienne, une âme. Pour cela, le Val d’Alzette peut s’appuyer sur un ovni culturel : le festival du film italien de Villerupt, créé il y a quarante ans. Chaque année en octobre, dans ce coin perdu à cheval entre la Moselle et la Meurthe-et-Moselle, 40 000 personnes viennent assister à des projections et célébrer ce puissant héritage. Aujourd’hui, les festivaliers trouvent difficilement à se loger ou se restaurer.
« Mais tout ce travail de développement restera insuffisant si on n’arrive pas à un accord avec le Luxembourg sur la rétrocession fiscale, comme il en existe avec d’autres pays frontaliers », insiste l’élu Alain Casoni. Le PIB par habitant du Luxembourg est quatre fois plus élevé que celui du Grand Est. Une infirmière y démarre à 3 500 euros nets, deux fois plus qu’ici. Nos apprentis s’en vont de l’autre côté de la frontière. Comment faire dans ces conditions ? » M. Casoni vient de cosigner avec plusieurs élus du Grand Est une lettre au ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, et au ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, demandant au gouvernement d’agir. Et de donner vraiment les moyens à ce territoire d’entrer dans une logique de développement durable.
La ville et l’habitat durable seront au centre d’une rencontre du Monde à Nancy, mardi 13 février de 8 h 30 à 10 h 30. Inscriptions ici.