La péniche « Louise-Catherine », une vieille dame en apnée quai d’Austerlitz
La péniche « Louise-Catherine », une vieille dame en apnée quai d’Austerlitz
Par Jean-Jacques Larrochelle
Classée aux monuments historiques, cette embarcation restaurée par Le Corbusier en 1929 a été engloutie samedi par les eaux de la Seine.
La péniche « Louise-Catherine » en décembre 2001. / PIERRE VERDY/AFP
Quelque vingt minutes ont suffi pour que Louise-Catherine disparaisse. Samedi 10 février, aux alentours de 17 heures, la péniche en ciment armé restaurée par Le Corbusier en 1929 a été engloutie par les eaux de la Seine au pied du pont d’Austerlitz, dans le 13e arrondissement de Paris, où elle était amarrée. Soulevée par la montée des eaux qui a touché ces derniers jours la capitale, sa proue s’est retrouvée retenue par le rebord du quai lorsque a commencé à s’amorcer la décrue. Après un échec des pompiers, qui ne disposaient pas de la puissance requise pour tirer ce bâtiment de 800 tonnes, 70 mètres de long et 8 mètres de large, un pousseur a été appelé en renfort. Suite à la manœuvre, une vague a projeté l’arrière de la péniche contre le quai et provoqué une voie d’eau. Aucune victime ni aucune pollution ne sont à déplorer.
L’histoire de Louise-Catherine, utilisée par l’Armée du salut jusqu’en 1994, puis définitivement fermée en 2002 et classée aux monuments historiques en 2008, est singulière. Avant de devenir un « asile flottant » destiné aux « sans-adresse, sans-repos, sans-taudis », comme disaient alors les salutistes, le navire s’appelait Liège et était un chaland à fond plat destiné, depuis sa construction en 1919, au transport du charbon. En 1928, Madeleine Zillhardt (1863-1950), femme de lettres et peintre de faïences formée à l’Académie Julian à Paris, revend 1 500 francs un dessin acheté 100 sous. La décoratrice souhaite que la somme serve à transformer une péniche désaffectée en un refuge pour les « malheureux ». A une seule condition : que le prénom de sa compagne, la peintre Louise-Catherine Breslau (1856-1927), tout juste décédée, figure en poupe du bâtiment.
160 lits dans trois « nefs »
Le Liège végète alors dans le port de Rouen. C’est Winnaretta Singer (1865-1943), proche des deux femmes et mécène de l’Armée du salut, qui impose Le Corbusier pour ce travail de réhabilitation. L’architecte est déjà engagé pour l’Armée du Salut dans le projet de Cité de refuge, dans le 13e arrondissement voisin. Réalisées dans l’urgence, les améliorations qu’il apporte au navire sont cohérentes : 160 lits et autant de casiers répartis dans trois vastes dortoirs qu’il nommait « les nefs » et que soutiennent 36 pilotis, des soupentes, une salle à manger, des cuisines, deux appartements et « un jardin suspendu sur le dessus de la péniche », notait Le Corbusier. Issue du Liège, Louise-Catherine naît officiellement le 1er janvier 1930.
« Pour bien comprendre l’importance de la Louise-Catherine, il faut se pencher sur la villa Church [1927], où Le Corbusier dit “créer dans le créé” et opère une réhabilitation-agrandissement », explique l’architecte et urbaniste Michel Cantal-Dupart, ardent défenseur de la péniche et auteur du livre Avec Le Corbusier. L’aventure du “Louise-Catherine” (éd. CNRS, 2015). L’homme est par ailleurs président de l’association Louise-Catherine, créée en 2006 après le rachat de la péniche, alors dans un état déplorable, par Charles Firmin-Didot, Jean-Marc Domange et Francis Kertekian.
La fille de ce dernier, Alice Kertekian, dont la péniche jouxte Louise-Catherine, était aux avant-postes lorsque l’avarie s’est produite. Elle dit être résolue à poursuivre l’œuvre de restauration de la construction entreprise par son père et ses amis, qui avaient à l’époque estimé l’intégralité de la restauration à 1,2 million d’euros. « Le but est de la sauver ; il existe des techniques pour la sortir de l’eau. Mais tant qu’il y a la crue, les plongeurs ne peuvent aller explorer et voir l’ampleur exacte de l’avarie », a-t-elle indiqué à l’AFP. Une souscription sur KissKissBankBank est même évoquée, pour payer les frais de grutage nécessaire au renflouement. Compte tenu du poids de la Louise-Catherine, cette solution qui nécessiterait de considérables moyens ne semble toutefois guère adaptée.
« Une périssoire en apnée »
« On va la voir réapparaître dès que la Seine reprendra son étiage normal », veut croire Michel Cantal-Dupart, qui compare le bateau à « une périssoire en apnée » dans une allusion au canot submersible immortalisé par les impressionnistes. Le béton, rappelle-t-il, est une matière qui se solidifie dans l’eau. Ainsi, une fois que des scaphandriers auront colmaté la brèche, il ne devrait plus rester qu’à pomper l’eau contenue dans la péniche.
L’incident survenu quai d’Austerlitz a exacerbé l’important mouvement de solidarité dont bénéficie depuis longtemps Louise-Catherine, affirme M. Cantal-Dupart. Il y a peu, l’architecte japonais Shuhei Endo, qui, en 2009, avait été sollicité par le Festival d’automne pour transformer le bâtiment, avait mobilisé des compatriotes. Offertes par un constructeur japonais, deux passerelles conformes aux modèles originaux devaient être installées. Au mois de janvier, des industriels du béton sont venus ausculter la « vieille dame », se disant prêts à participer à sa restauration complète.
Si tout se passe bien, Louise-Catherine pourrait accueillir au mois d’octobre une exposition d’architectures dans le cadre du 160e anniversaire du traité d’amitié et de commerce franco-japonais. Quelques mois avant le centenaire du bateau.