Smartphones, applications, enceintes… l’Arcep s’inquiète d’un accès réduit à Internet
Smartphones, applications, enceintes… l’Arcep s’inquiète d’un accès réduit à Internet
LE MONDE ECONOMIE
Dans un rapport remis jeudi au gouvernement, l’autorité de régulation des télécoms avance une série de propositions afin de tenter de lutter contre un « rétrécissement » d’Internet.
L’Arcep s’est trouvé un nouveau cheval de bataille. Dans un rapport publié jeudi 15 février, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes a décidé de s’intéresser aux « terminaux, maillons faibles de l’ouverture d’Internet ».
Alors qu’elle s’intéressait jusque-là essentiellement aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) pour garantir la neutralité du Net – c’est-à-dire l’accès libre pour chacun à tout contenu sur Internet et que tous les contenus y soient traités de la même manière par les opérateurs –, cette approche lui est apparue restrictive.
« On s’intéressait aux tuyaux, pas aux robinets », explique Sébastien Soriano, son président. Or, selon que le particulier utilise un ordinateur ou un téléphone, les contenus à disposition ou mis en avant peuvent différer. Idem selon la marque du smartphone utilisé.
Les usages ont changé
Cette étude, lancée il y a deux ans, intervient à un moment où les usages ont changé. Pour la première fois en 2017, les smartphones sont devenus le moyen privilégié des Français pour accéder à Internet. En quelques années, les portes d’entrée au Net se sont multipliées. Là où seul un ordinateur permettait de se connecter il y a une dizaine d’années, le choix s’est largement enrichi : smartphone, tablette, console de jeux vidéo, smart TV, enceinte… et bientôt voiture connectée.
« On a voulu scanner les différents types de produits pour repérer les restrictions qui existent sur chacun d’eux », précise M. Soriano. L’Arcep a toutefois concentré ses efforts sur les smartphones en raison de leur niveau « représentativité » et de l’avènement des applications, venues concurrencer la navigation classique sur le Web à travers des navigateurs (Safari, Chrome, Firefox).
Une mutation que M. Soriano illustre ainsi : « Le smartphone a apporté Internet dans la poche du plus grand nombre, mais, en rentrant dans la poche, le Net s’est déformé. » Oui mais voilà, pour installer une application sur son smartphone, encore faut-il que les propriétaires des principaux magasins d’applications les mettent à disposition. Ceux-ci se comptent, peu ou prou, au nombre de deux : Apple et Google. Les deux groupes dictent leurs lois à 99 % des utilisateurs de smartphones et ont toute latitude pour refuser l’arrivée de nouvelles « app » dans leur environnement, au nom de principes éditoriaux ou techniques, sur lesquels eux seuls ont la main. Au-delà, ces mêmes acteurs ont le champ libre pour offrir davantage de visibilité à telle ou telle application.
Autre produit sur lequel insiste le rapport de l’Arcep, les enceintes connectées équipées d’assistants vocaux. Ces appareils, qui se sont écoulés par dizaines de millions aux Etats-Unis et commencent à déferler sur le reste de la planète, permettent d’accéder au Net en formulant des demandes à l’oral.
Mais eux aussi paraissent peu compatibles avec la neutralité du Net. Là où, à une question donnée on trouvera sur Internet un vaste choix de réponses possibles, ces appareils, privés pour la plupart d’écrans, proposent une seule réponse. Or celle-ci est fondée sur une intelligence artificielle dont les utilisateurs ne connaissent pas la logique, ou sur des partenariats établis entre des entreprises et le promoteur de l’enceinte.
Abus de position dominante
En creux, le rapport de l’Arcep dénonce l’abus de position dominante des géants du Web, Apple et Google en tête, qui imposent aux utilisateurs leurs conditions ou privilégient leurs services maison au détriment de la liberté de choix de l’utilisateur. L’un comme l’autre empêchent, par exemple, de supprimer de l’appareil leur navigateur ou leur moteur de recherche.
En conclusion de ses travaux, l’Arcep avance une dizaine de propositions : interdire d’imposer des applications, faciliter l’accès à des magasins d’applications alternatifs, donner une meilleure information aux consommateurs sur les limitations inhérentes à l’achat de tel ou tel matériel… Surtout, l’autorité de régulation souhaiterait que la même vigilance qui s’applique, légalement, aujourd’hui aux fournisseurs d’accès s’étende aux constructeurs et aux concepteurs de systèmes d’exploitation.
Sébastien Soriano sait que le combat est loin d’être gagné : « On n’est pas attendu sur le sujet, car il y a une forme de renoncement. Pour certains, nos propositions relèvent de l’hérésie ou du “donquichottisme” ». Une chose est sûre, les moulins qu’il va combattre ont aujourd’hui des fondations solidement établies.