« Un juif pour l’exemple » : esquisse d’une adaptation
« Un juif pour l’exemple » : esquisse d’une adaptation
Par Thomas Sotinel
A partir du texte de l’écrivain suisse Jacques Chessex, le cinéaste Jacob Berger revient sur un épisode longtemps tu de l’histoire de son pays.
André Wilms joue le rôle de l’écrivain suisse Jacques Chessex. / VEGA FILM AG
La brièveté de cette adaptation, tirée de l’ultime texte du romancier suisse Jacques Chessex, est à la fois un aveu d’impuissance et le signe de la lucidité du metteur en scène. Un juif pour l’exemple voudrait mettre en scène la résurgence de souvenirs enfouis dans la mémoire d’un septuagénaire. Des images et des situations perçues et vécues soixante ans plus tôt, en 1942, lorsque la Suisse se tenait précautionneusement au bord du gouffre, refoulant les juifs qui lui demandaient asile, redoutant (dans sa majorité) ou espérant (c’était le cas d’une fraction militante de la population) de subir le sort de la Pologne ou de la France, de tomber sous la domination nazie.
Dans la ville de Payerne, romande et protestante, l’écolier Jacques Chessex voit un camarade juif passé à tabac, déshabillé, ligoté. Le garagiste du coin, Fernand Ischi, mène une bande d’hitlériens composée d’éleveurs et de chômeurs, dont le référent idéologique est un pasteur défroqué. Au printemps 1942, à l’approche de l’anniversaire d’Adolf Hitler, la phalange décide de tuer un juif pour célébrer l’événement. Ils choisissent d’abattre Arthur Bloch, marchand de bestiaux. Longtemps tu en Suisse, cet épisode a fait l’objet d’une enquête journalistique avant d’être évoquée sur le mode de la réminiscence par Jacques Chessex. Peu de temps après la sortie du livre, l’écrivain, pris à partie pendant une rencontre avec ses lecteurs, meurt d’une crise cardiaque.
Lâcheté collective
A chacune des questions que soulève la mise en scène de cette histoire de contamination, de lâcheté collective, de persistance du mal, Jacob Berger esquisse une réponse. Certaines sont prometteuses, comme l’idée de refuser la reconstitution pour placer des personnages en costume d’époque dans des décors – bâtiments, véhicules, uniformes… – contemporains. D’autres sont d’un formalisme classique : quand il faut montrer le sadisme sexuel du garagiste nazi, on sent le metteur en scène si embarrassé qu’il en devient maladroit.
Il se contente essentiellement d’énoncer les faits, refusant aussi bien l’abstraction que le drame, deux possibilités qu’offrait le récit. Le lien avec la période contemporaine est à la fois suggéré par le parti pris déjà évoqué et souligné par des répliques explicatives sur le chômage et l’émigration. Mobilisant deux grands acteurs, Bruno Ganz et André Wilms, pour jouer Arthur Bloch et Jacques Chessex, c’est à peine si Jacob Berger use de leur talent. Ils passent à l’écran comme les ombres d’un film fantôme, qui reste à faire.
Film suisse de Jacob Berger. Avec Bruno Ganz, André Wilms, Elisa Löwensohn, Aurélien Patouillard (1 h 19).