L’architecte Richard Meier écarté après des accusations de harcèlement sexuel
L’architecte Richard Meier écarté après des accusations de harcèlement sexuel
Par Jean-Jacques Larrochelle
Le lauréat du Pritzker Prize en 1984, âgé de 83 ans, se retire de ses agences à la suite d’une enquête du « New York Times », qui publie les révélations de cinq femmes.
Richard Meier, ici en 2009. | DAVID SHANKBONE/CC BY 3.0
Cinq femmes américaines disent avoir subi des actes de harcèlement sexuel de la part de leur compatriote Richard Meier. Après l’annonce de ces révélations, relatées par le New York Times dans son édition de mardi 13 mars, l’architecte de 83 ans, lauréat en 1984 du Pritzker Prize, considéré comme la plus haute distinction dans le domaine de l’architecture, a choisi de se retirer de ses agences de Los Angeles et de New York pour une durée de six mois. « Je suis profondément troublé et embarrassé par les récits de plusieurs femmes qui ont été offensées par mes paroles et mes actes, a déclaré l’architecte dans un communiqué. Bien que nos souvenirs puissent différer, je présente mes sincères excuses à tous ceux [celles] qui ont été offensé[e]s par mon comportement. »
Laura Trimble Elbogen et Alexis Zamlich, deux assistantes, ont détaillé des incidents survenus en 2009, alors qu’elles étaient âgées respectivement de 24 et 22 ans. La première, recrutée depuis peu, avait été invitée dans l’appartement de M. Meier à New York pour fêter son embauche. « Quand elle est arrivée, raconte le New York Times, il lui a offert un verre de vin, lui a montré des photographies de femmes nues qu’il avait prises et lui a ensuite demandé de se déshabiller. » Après avoir fait part de cette expérience à sa direction, elle a été mise à pied dans le cadre de ce que l’entreprise lui a présenté, dit-elle, comme la conséquence d’« une réduction des effectifs ».
Mme Zamlich a également été invitée à travailler, chaque vendredi, dans l’appartement de M. Meier pour aider à la conception de collages de l’architecte qui comprenaient, notamment, des images d’organes génitaux féminins. A une occasion, il a baissé son pantalon devant elle, ce qui lui a fait quitter l’appartement. Elle a révélé ce qui s’était passé à d’autres collègues femmes ainsi qu’à des associés de l’entreprise. Elle aurait reçu un règlement judiciaire de 150 000 dollars (121 300 euros) assorti d’un accord de confidentialité lui interdisant d’évoquer les circonstances de son départ.
Peignoir ouvert
« Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour examiner les réclamations [de Mmes Elbogen et Zamlich] et mettre en place une politique et une formation solides sur le harcèlement sexuel, a déclaré le directeur de l’exploitation de l’agence entre 2003 et 2010, Scott Johnson. Tout le monde y a participé, y compris Richard. »
Stella Lee, autre femme citée par le quotiden, a, elle, commencé à travailler pour Richard Meier en 2000. Mise en garde contre les agissements de l’architecte par la directrice de la communication de l’agence, Lisetta Koe, la jeune femme a consigné par mail le détail des situations auxquelles elle a été confrontée. Ainsi, arrivant à peine dans l’appartement de l’architecte, elle avait trouvé ce dernier vêtu d’un simple peignoir ouvert lui permettant d’exhiber son sexe. Mme Lee dit avoir été « pétrifiée ». Plus tard dans la journée, il l’invitera à se rendre avec lui dans son sauna, ce qu’elle refusera.
« Ne reste pas au bureau tardivement » : Judi Shade Monk, entrée dans l’agence d’architecture en 2003, à l’âge de 26 ans, avait, elle aussi, été prévenue par des collègues. Deux mois plus tard, alors qu’il la guidait pour lui faire rencontrer deux éminents confrères, Richard Meier a glissé sa main de son dos vers ses fesses, jouant avec ses sous-vêtements qu’il a commencé à « rouler dans ses doigts », témoigne-t-elle. « Un des plus anciens membres de l’agence, qui avait vu ce qui se passait, m’a demandé si tout allait bien. »
Un mode opératoire
La dernière femme à témoigner ne fait pas partie de l’agence. Carol Vena-Mondt, designer de meubles, aujourd’hui âgée de 70 ans, a eu, dit-elle, « une expérience traumatisante » avec Richard Meier dans les années 1980 à Los Angeles, à l’époque où il travaillait sur le projet du Getty Center. Invitée dans sa résidence à un dîner qu’elle imaginait en équipe, elle s’est retrouvée être la seule convive. M. Meier a tenté de l’embrasser de force, et alors qu’elle essayait de partir, il l’a rattrapée et tirée vers lui. « Il a attrapé un de mes bras et commencé à me traîner dans le couloir vers la chambre à coucher, a t-elle expliqué au New York Times. Il m’a poussée sur le lit et s’est couché sur moi pendant que je me tordais et le repoussais. Je n’avais jamais rien vu de pareil. » Elle est parvenue à se libérer, a rejoint sa voiture, fermé toutes les portières, puis s’est arrêtée au fond de la longue allée. « Je me suis mise à pleurer et à trembler. »
Le mode opératoire dont rendent compte ces témoignages rappelle celui du producteur de cinéma Harvey Weinstein dont les agissements ont à la fois suscité une réprobation internationale et amené les nombreuses victimes d’autres prédateurs sexuels à sortir du silence. Comble du cynisme, Richard Meier a soutenu certaines causes féministes. Il a été signataire d’une pétition réclamant la reconnaissance de Denise Scott Brown, épouse et associée de Robert Venturi, injustement exclue du Pritzker Prize obtenu par son mari en 1991. Il avait également créé au mois de janvier une bourse d’études supérieures au sein de l’école d’architecture de l’Université Cornell (New York) afin de « recruter et de retenir les candidates les plus talentueuses ».
Après avoir pris connaissance de l’article du Times, le doyen de l’établissement, Kent Kleinman, a déclaré dans une lettre ouverte publiée sur le site de l’école que le comportement de l’architecte était « inacceptable » et que Cornell refuserait son nouveau cadeau. L’école va explorer « les actions supplémentaires appropriées » concernant les bourses et les dons antérieurs. Les responsables du Pritzker Prize ne se sont pour l’instant pas encore officiellement manifestés.
James Levine licencié du Met
Par ailleurs, le Metropolitan Opera de New York a licencié lundi 12 mars son directeur musical honoraire, James Levine, âgé de 74 ans, déjà mis à pied, au terme d’une enquête qui a confirmé que le puissant chef d’orchestre s’était rendu coupable d’abus sexuels.
« L’enquête a mis en évidence des preuves crédibles que M. Levine s’était livré à du harcèlement et à un comportement abusif sexuellement » avant qu’il n’arrive au Met, puis pendant sa collaboration avec l’opéra de New York, a indiqué l’institution dans un communiqué.
Les agissements du chef d’orchestre auraient notamment visé des « artistes vulnérables en début de carrière, sur lesquels M. Levine avait autorité », précise le Met. Compte tenu des conclusions de cette enquête, menée par un ancien procureur de l’Etat du New Jersey, Robert J. Cleary, la direction de l’opéra et son conseil d’administration ont estimé qu’il serait « inapproprié et impossible » que James Levine continue à travailler au Met. Outre la direction musicale honoraire, le maestro déchu a été également licencié de son poste de directeur du programme consacré aux jeunes artistes.