Au Mozambique, les femmes dans la ligne de mire d’un groupe djihadiste émergent
Au Mozambique, les femmes dans la ligne de mire d’un groupe djihadiste émergent
Par Adrien Barbier (Mocimboa da Praia (Mozambique), envoyé spécial)
Dans le nord du pays, des islamistes armés mènent des raids qui rappellent le mode opératoire de Boko Haram au Nigeria.
Janvier, février, mars : Momade Mfaume compte les jours comme on égrène un chapelet. Ce petit grand-père inoffensif a été attaqué dans son champ, près de Mocimboa da Praia, dans l’extrême nord du Mozambique, au début de l’année. Alors qu’on lui tirait dessus, sa femme, Zanaïda, a été kidnappée. « Cela fait soixante-six jours qu’ils l’ont prise. Je ne mange plus, je ne dors plus, explique cet homme de 70 ans en triturant son kufi (bonnet). C’est ma seule femme, vous comprenez. »
M. Mfaume, de confession musulmane comme la majorité des habitants de la région, est l’une des victimes du groupe djihadiste qui sévit dans le nord du pays. Bourgade d’apparence calme et sans histoires, Mocimboa a été prise d’assaut le 5 octobre 2017 par des dizaines d’insurgés. Chassés par l’armée, ils ont depuis pris le maquis, d’où ils mènent des raids. Ce groupe de jeunes musulmans radicalisés, la population locale les nomme les « chabab » (« les jeunes », en arabe), bien qu’aucun lien avec les Chabab somaliens ne soit avéré. Ils affirment combattre l’Etat et vouloir l’application de la charia, la loi islamique.
Leurs premières cibles sont les fonctionnaires – policiers, leaders communautaires, infirmiers, professeurs –, qui comptent déjà plusieurs morts. Mais le reste de la population aussi est visé, même si les autorités évitent de l’admettre. Les habitants parlent d’assassinats à la machette dans les champs, d’enlèvements de femmes, de maisons brûlées. Dans le village de Makulo, à une trentaine de kilomètres de Mocimboa, les assaillants ont brûlé une église et hissé le drapeau de l’Etat islamique, avant d’être délogés. Leur mode opératoire rappelle le groupe islamiste Boko Haram, qui sévit depuis 2009 dans le nord-est du Nigeria.
« Les hommes, ils les égorgent »
L’épouse de M. Mfaume a été remariée de force à l’un des djihadistes. L’information lui a été donnée par une autre captive, parvenue à s’échapper. « Toutes les femmes qui sont là-bas ont été remariées, déplore le vieillard. Dans le quartier, on est onze hommes dans ce cas. A nous tous, on a perdu 27 femmes. » Cet ancien combattant de la guerre de libération tient les comptes : d’après lui, sept hommes ont été tués à la machette lors des enlèvements. « Ils veulent seulement les femmes. Les hommes, ils les égorgent comme des cabris », précise t-il.
Dans le même quartier de Nanduadua, Fatou Chak raconte comment son frère a réussi à s’échapper des mains des djihadistes. Kidnappé avec sa mère puis emmené en forêt, il a été entendu par la police à son retour et, depuis, se tient caché. « Il nous a raconté que les chabab n’avaient pas voulu les tuer, rapporte la jeune fille. Ils les utilisaient pour transporter des choses, surtout la nuit. Comme des esclaves. »
Pour Ussenne Amisse, professeur dans une école coranique du quartier, les djihadistes s’en prennent à la population car ils n’ont plus de nourriture. « Les chabab ont fui dans la forêt et ils n’avaient pas prévu que ça se passerait comme ça, dit-il. Ils ont commencé à prendre des femmes, même enceintes, et à dire que c’étaient les leurs. Ils tuent des gens, surtout dans les champs, et ils ont dit qu’ils continueraient jusqu’à leur mort. »
Ussenne Amisse s’interrompt alors que surgit un secrétaire de quartier. Depuis les attaques, un climat de suspicion généralisée s’est répandu dans la communauté musulmane. Le contrôle de la population a redoublé au Mozambique, où le même parti, anciennement marxiste, est au pouvoir depuis l’indépendance en 1975.
Gigantesque coup de filet
Interrogées sur les enlèvements, les autorités affirment ne pas avoir d’informations. « Je pense que ce n’est pas vrai. En tant que représentant du gouvernement, je n’ai jamais entendu une chose pareille », assure Fernando Neves, le maire de Mocimboa, alors que la police a arrêté de donner le bilan des victimes de chaque attaque. Si une accalmie a été constatée depuis la fin janvier, les médias d’Etat ont rapporté dix attaques entre le 5 octobre et le 15 mars, qui ont fait au moins 44 morts, dont 21 djihadistes, et des dizaines de blessés.
Officiellement, la situation est désormais « calme et sous contrôle » dans toute la province de Cabo Delgado, une région stratégique pour ses immenses réserves de gaz. Des dizaines d’assaillants ont été tués dans des opérations de contre-insurrection et les forces de police ont mené un gigantesque coup de filet : depuis octobre, 470 personnes ont été arrêtées. Début février, les déplacés, dont le nombre exact demeure inconnu, ont été exhortés à regagner leur maison. Sous couvert d’anonymat, des responsables locaux reconnaissent néanmoins n’avoir aucune idée du nombre de djihadistes restant dans les épaisses forêts alentour.