Retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien : les réponses à vos questions
Retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien : les réponses à vos questions
Par Marc Semo, Gilles Paris (Washington, correspondant), Louis Imbert
Après l’annonce par Donald Trump du désengagement américain de l’accord de 2015, mardi soir, les journalistes du service International du « Monde » analysent les conséquences de ce retrait.
Donald Trump, mardi 8 mai, après avoir annoncé le retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien. / Evan Vucci / AP
Donald Trump a annoncé, mardi 8 mai, le désengagement américain de l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien, un discours qui ouvre une période de grande incertitude sur le front des relations internationales. Marc Semo et Louis Imbert, journalistes au service International du Monde, et Gilles Paris, correspondant à Washington, ont répondu aux questions des lecteurs sur les conséquences de ce retrait.
L’accord est-il caduc ou bien reste-t-il valable pour les autres pays signataires ?
Marc Semo : L’accord de 2015 reste bien évidemment valable, car les Etats-Unis ne sont que l’un des sept pays engagés. Il a été négocié par les 5 + 1, c’est-à-dire les cinq membres permanents du Conseil de sécurité (Etats-Unis, Royaume-Uni, France, Chine, Russie), plus l’Allemagne et Téhéran. Tant que Téhéran ne s’en retire pas ou n’en viole pas les termes, par exemple, en reprenant son programme d’enrichissement, il reste valide. Mais si, à cause du rétablissement de dures sanctions par Trump et de pressions américaines sur les Européens et leurs entreprises pour ne pas travailler avec l’Iran, il ne procure aucun résultat tangible à l’Iran, l’accord va immanquablement mourir. Toute la question est maintenant de savoir si les Européens pourront et surtout voudront continuer à le maintenir en vie. Et surtout aussi ce que feront les Russes et encore plus les Chinois qui, pendant les années des sanctions, ont été les principaux partenaires économiques de la république des mollahs.
L’Iran est accusé par les Etats-Unis et Israël d’être devenu plus agressif depuis la signature de l’accord en 2015. Ces accusations sont-elles fondées ?
Louis Imbert : M. Trump considère que la levée des sanctions contre l’Iran a permis au pays de consacrer d’immenses sommes à son budget militaire – ce qui est faux en bonne partie, même si l’accord a allégé la pression financière qui pesait sur le pays. Une partie de son entourage ne tolère pas un pari politique fait par l’administration Obama, lorsqu’elle a signé l’accord nucléaire, qui était de laisser l’Iran se reconnecter à l’économie mondiale et à l’Occident, dans l’espoir de favoriser une évolution intérieure de l’Etat et une position plus stabilisatrice dans la région. La montée en puissance de l’Iran dans son voisinage – en Syrie au côté du régime de Damas, en Irak, au Liban avec son allié, le Hezbollah, et en partie au Yémen, apparaît comme une démonstration d’agressivité inédite et intolérable pour les faucons qui entourent M. Trump.
Pourquoi Donald Trump dit-il que l’accord coûte très cher aux Américains ?
Gilles Paris : C’est une constante dans la rhétorique de Donald Trump, il considère que tous les accords négociés avant lui ont été mal faits et que les autres parties ont toujours été en mesure d’abuser de la naïveté supposée des administrations précédentes. Financièrement, l’accord n’a entraîné côté américain que le dégel d’avoirs iraniens et le remboursement d’une somme versée par l’Iran, avant la Révolution islamique, pour des achats d’armes qui n’avaient pas été honorés. Les Etats-Unis, après des décennies de sanctions vis-à-vis de l’Iran, sont complètement déconnectés du marché iranien.
Quelles instances politiques américaines supportent le retrait américain de cet accord ?
Gilles Paris : Aucune. Jusqu’à l’annonce de Donald Trump, les républicains du Congrès, qui ont ferraillé contre Barack Obama et qui se sont opposés à l’accord à l’été 2015, ont plaidé pour le maintien des Etats-Unis. Comme l’a expliqué, dimanche, le président républicain de la commission des forces armées de la Chambre des représentants, Mac Thornberry, ils ne voient pas de plan B dans la posture du retrait, seulement un vide jugé inquiétant. Le secrétaire à la défense, James Mattis, a jugé jusqu’à ces derniers mois que l’accord était « dans l’intérêt » des Etats-Unis, même s’il ne mentionne plus ce point, désormais. Les responsables du renseignement américain, interrogés au Congrès, ont toujours jugé, par ailleurs, que l’Iran respecte l’accord.
Donald Trump peut-il sortir de l’accord et réactiver les sanctions sans passer par le Congrès ? Son décret peut-il être contesté ?
Gilles Paris : Oui, car l’accord n’est pas techniquement un traité. Compte tenu de l’opposition républicaine et également démocrate au Congrès, Barack Obama ne l’avait pas soumis au Sénat. Donald Trump peut donc s’en retirer sans avoir à demander un feu vert. Il en va de même avec les sanctions. Dans le mécanisme en vigueur depuis juillet 2015, les sanctions étaient toujours là, elles étaient simplement suspendues. Pour contrer le président, comme les élus avaient tenté de le faire en 2015, il faut une majorité qualifiée des deux tiers. Le Parti républicain, majoritaire dans les deux chambres, n’est évidemment pas sur cette ligne.
Considérez-vous que Donald Trump a donc choisi la « manière forte » face à l’Iran ?
Louis Imbert : Oui. M. Trump a annoncé le rétablissement de sanctions américaines – notamment contre le pétrole et les banques – levées avec l’accord nucléaire, et signalé sa volonté d’imposer ces sanctions aux entreprises non américaines en affaires avec l’Iran. La Maison Blanche précise dans un communiqué qu’elles auront un délai pour se désengager, ce qui laisse place à diverses négociations. Reste à savoir avec quelles forces et selon quels moyens l’administration américaine pourra imposer ces sanctions à des partenaires commerciaux qui n’ont aucune intention de se joindre à cet effort de plein gré – comme la Russie, la Chine et, plus difficilement, l’Union européenne – du moins tant que l’Iran respecte ses engagements nucléaires.
Les contrats signés entre la France et l’Iran seront-ils annulés, compte tenu du risque de sanctions pour les entreprises ?
Louis Imbert : Tout dépend des sanctions. Avant le 12 mai, Donald Trump peut refuser de lever des mesures qui visent les exportations de pétrole de l’Iran, et donc ses clients, dont les Français. Ces sanctions bancaires avaient été d’une grande efficacité entre 2012 et 2015 pour presser l’Iran à la table des négociations. D’autres échéances suivront, en juillet notamment, pour le transport et les assureurs. Il sera difficile à Washington de les faire appliquer par la Chine ou la Russie, mais les banques françaises, elles, demeurent fragiles face aux sanctions américaines et apeurées.
Les investisseurs français revenus en Iran et ayant des intérêts aux Etats-Unis pourraient être vulnérables et chercher auprès du département d’Etat des exemptions. Mais les entreprises ne se font guère d’illusion : seul un rapport de force d’Etat à Etat pourrait les tirer de la pression du Trésor américain.
Est-il crédible de penser (comme le fait Donald Trump) que les sanctions feront grandir la grogne de la population iranienne et que cela pourrait aboutir à un changement de régime ?
Louis Imbert : A court terme, ce serait plutôt l’inverse. L’Etat iranien a affronté au tournant de l’année une vague de manifestations qui ont touché des dizaines de villes, et dont la répression a fait au moins 25 morts dans les rues. Cet épisode inédit a suscité une vaste remise en cause du fonctionnement politique de l’Iran, y compris au sein de l’Etat – au Parlement, dans les ministères, au sein d’instances aussi diverses que le Croissant-Rouge iranien ou des administrateurs des monuments historiques… – et évidemment dans la rue. Des manifestations disparates se poursuivent ici et là et le manque de perspective de reprise économique en fait désespérer plus d’un.
Mais la menace américaine est assurée de susciter, au moins dans un premier temps, un ralliement nationaliste en défense de l’Etat, une vaste part de la population iranienne jugeant injuste un retour des sanctions. Elle risque également de provoquer une remontée en puissance de l’appareil non élu, sécuritaire et ultra-conservateur, et d’affaiblir les figures plus modérées qui ont signé l’accord nucléaire, notamment le président Hassan Rohani.
Comment risquent d’évoluer les tensions entre l’Iran et Israël après ce retrait ?
Marc Semo : Israël et l’Iran sont déjà en confrontation directe en Syrie. Israël a déjà mis en garde ouvertement Téhéran et Damas sur le fait que l’Etat hébreu n’acceptera pas l’installation de forces iraniennes sur le territoire syrien et, plusieurs fois, l’aviation israélienne a mené des raids. La remise en cause par Washington de l’accord ne change en soi pas grand-chose dans l’immédiat, mais cela dépend de ce que fera Téhéran.
Pour une bonne partie de l’appareil sécuritaire israélien, à commencer par le chef d’Etat-major, l’accord sur le nucléaire malgré toutes ses limites est un moindre mal qui permet d’avoir un contrôle international sur le programme iranien et ralentit au moins jusqu’en 2025 la quête de l’atome. En revanche, le parti au pouvoir et le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, se sont activés pour inciter Trump à sortir de l’accord. Si l’Iran, comme le menacent les plus durs du régime, reprenait le programme d’enrichissement, un dangereux engrenage vers le pire s’enclencherait. Ce serait la mort définitive de l’accord, le rétablissement général des sanctions et Israël pourrait à nouveau être tenté par une option militaire que l’armée ne soutient pas.