A-t-on le droit de « vidéosurveiller » l’hôpital ?
A-t-on le droit de « vidéosurveiller » l’hôpital ?
Par Martin Untersinger
Martin Hirsch, le directeur de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, a annoncé un renforcement du nombre de caméras de surveillance dans les établissements parisiens.
Les hôpitaux parisiens seront dotés d’ici trois ans de 40 % de caméras de vidéosurveillance supplémentaires. Martin Hirsch, le directeur de l’AP-HP, en a fait l’annonce mercredi 16 mai dans les colonnes du « Parisien ». / Kevan/CC BY 2.0
Les hôpitaux parisiens seront dotés d’ici trois ans de 40 % de caméras de vidéosurveillance supplémentaires. Martin Hirsch, le directeur de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) en a fait l’annonce mercredi 16 mai dans les colonnes du Parisien.
Il en coûtera 30 millions d’euros à l’organisme, qui gère 39 hôpitaux en région parisienne. Une vidéosurveillance « intelligente » sera même expérimentée ces prochaines semaines, a expliqué Martin Hirsch, destinée notamment à « détecter des bagarres, des colis suspects, (…) des chutes au sol ou d’agir lors d’une disparition de patient ».
La vidéosurveillance est-elle déjà utilisée à l’hôpital ?
Oui. L’AP-HP, pour ne parler que d’elle, dispose déjà de plus de 1 100 caméras de vidéosurveillance.
Après la disparition puis la mort d’un patient, en janvier 2017 à l’hôpital européen Georges Pompidou, l’AP-HP avait déjà annoncé sa volonté de « poursuivre le déploiement des dispositifs de vidéo-protection et de contrôle d’accès ». A l’époque, il s’agissait moins de l’utiliser pour lutter contre les incivilités que de « réduire l’exposition aux risques des patients les plus fragiles ».
L’AP-HP a récemment passé deux appels d’offre pour équiper ses établissements de caméras : l’un en 2016, pour compléter le parc de l’hôpital Necker – Enfants malades, et l’autre tout récemment, en mars, pour « intégrer plus de 300 caméras » sur le site de l’hôpital de la Pitié-Salpétrière.
A-t-on le droit d’utiliser la vidéosurveillance dans un hôpital ?
Oui. Il est tout à fait possible pour un hôpital d’installer des caméras de surveillance, y compris à l’intérieur de ses locaux. Deux cas peuvent se présenter : soit la caméra filme les abords immédiats de l’hôpital ou des zones ouvertes au public, soit elle filme des zones à accès restreint, réservées aux patients ou aux personnels. « La frontière, c’est là où il faut badger, où il faut justifier de sa qualité pour pénétrer dans un lieu », précise Nathalie Metallinos, avocate experte en données personnelles.
Dans le premier cas, l’hôpital doit solliciter une autorisation préfectorale valable cinq ans. Cette autorisation précise la durée pendant laquelle les images peuvent être conservées (dans la limite d’un mois), ainsi que les personnes qui peuvent y avoir accès. L’établissement doit « informer de manière claire et permanente le public de l’existence du système » de vidéosurveillance. Toute personne peut demander d’accéder aux bandes le concernant et les faire supprimer. La commission départementale de vidéoprotection et dans certains cas la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) peuvent vérifier si l’installation est conforme à l’autorisation préfectorale.
Pour les cas où les caméras sont situées dans des zones inaccessibles au public, c’est un autre cadre juridique qui s’applique, celui sur les données personnelles. Ce dernier va justement évoluer le 25 mai avec l’application du règlement européen sur les données personnelles (RGPD). Jusqu’à cette date, une déclaration à la CNIL devait être faite pour tout système de vidéosurveillance. A partir du 25 mai, l’hôpital devra l’inscrire dans un registre qu’il tiendra à disposition de la CNIL en cas de contrôle et effectuer une analyse des risques que fait peser la vidéosurveillance sur ses salariés et, le cas échéant, ses patients. Les principes restent les mêmes : les personnes doivent être informées, les employés de l’hôpital ne peuvent pas être filmés en permanence, et le but de la vidéosurveillance doit être légitime (ce qui est le cas pour la prévention des incivilités et des violences). Les images ne peuvent être conservées plus d’un mois.
La vidéosurveillance n’est-elle pas incompatible avec le secret médical ?
La loi n’est pas complètement claire à ce sujet. Les données médicales sont considérées par la loi comme très sensibles et sont très protégées. Les images captées par une caméra à l’extérieur d’un service de cancérologie constituent-elles, par exemple, des données sensibles ?
« La question peut se poser. Une image peut être une donnée à caractère personnel, et si elle révèle la santé de la personne, c’est une donnée sensible. En principe, sa collecte est interdite sauf cas dérogatoires », explique Anne Debet, professeure de droit privé à l’université Paris Descartes et membre de l’Institut Droit et Santé.
Avec le RGPD, dans le cas de la vidéosurveillance en milieu hospitalier, « il faut faire une analyse d’impact sur la vie privée, qui devra indiquer précisément l’évaluation des risques, notamment au regard des locaux à usage médical et [l’hôpital] ne pourra pas contrevenir en théorie au secret médical » renchérit Guillaume Desgens-Pasanau, maître de conférences au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et magistrat.
« Le fonctionnement de ces installations [de vidéosurveillance] doit permettre de respecter le secret médical, la dignité des patients et le droit à la vie privée des usagers et du personnel » dispose le règlement intérieur de l’AP-HP.
Qu’est-ce que la « vidéosurveillance intelligente » et est-elle utilisée à l’hôpital ?
Ce que Martin Hirsch appelle « vidéosurveillance intelligente » est l’ajout à la captation d’images des systèmes d’analyse de ce qu’il s’y passe, afin, par exemple, de détecter certains types de mouvements (une chute, un individu qui marche à rebours d’une foule, des bagarres).
Elle est déjà utilisée en milieu hospitalier, notamment aux Hospices civils de Lyon, qui prévoient de déployer sur leur système de vidéosurveillance des systèmes d’alertes automatiques permettant de détecter « la disparition d’objet d’une scène », le « franchissement d’une ligne virtuelle » ou une « activité dans une zone prédéfinie ».
En fonction de leurs fonctionnalités exactes, par exemple si les caméras sont capables de capter du son ou d’identifier des individus (biométrie), leur statut légal peut changer et durcir considérablement le cadre de leur déploiement et de leur utilisation.