Spanish driver Fernando Alonso waits to take the relay in his Toyota TS050 Hybrid LMP1 during the 86th Le Mans 24-hours endurance race, at the Circuit de la Sarthe on June 17, 2018 in Le Mans, western France. / AFP / Jean-Francois MONIER / JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Historique ! La victoire aux 24 Heures du Mans d’une Toyota, la #8 pilotée par le trio Sébastien Buemi-Kasuki Nakajima-Fernando Alonso, devant la seconde Toyota #7 et la Rebellion #3, dimanche 17 juin à 15 heures, s’inscrit doublement dans l’histoire du sport automobile. D’abord pour le constructeur japonais, qui met fin ainsi à dix-neuf tentatives infructueuses ; ensuite pour le champion de Formule 1 Fernando Alonso. L’Espagnol se rapproche un peu plus de son objectif de décrocher la Triple couronne, c’est-à-dire gagner, après le Grand Prix de F1 de Monaco en 2006 et 2007 et l’épreuve mancelle, les 500 Milles d’Indianapolis. Pourtant il flotte comme un parfum d’inachevé au milieu de l’allégresse affichée. « Les dés étaient pipés, entend-on. A vaincre sans péril… ». Mais peut-on vraiment remporter les 24 Heures sans gloire ?

Fernando Alonso dans la nuit des 24 Heures, dimanche 17 juin. / JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Oui, Toyota a vaincu. Enfin ! Cela fait dix-neuf années qu’il se fait battre généralement (17 fois) par un constructeur allemand, Audi ou Porsche. Jusqu’à ce qu’Audi se retire de la compétition, en 2016. Toyota a cru alors son heure arrivée, menant la course jusqu’à un tour de la fin, cloué sur place par une panne moteur. Un traumatisme. Les membres de l’équipe japonaise ne pouvaient retenir leurs larmes. Alors lorsque Porsche, pris à la gorge financièrement par le dieselgate, a annoncé son retrait du championnat du monde d’endurance (World Endurance Cup, WEC), dont les 24 Heures sont l’épreuve phare, Toyota n’a pas eu de complexes, même s’il restait le seul constructeur de ce que l’on appelle la catégorie reine, celle des LMP1, les prototypes hybrides.

Petite incise réglementaire : quatre catégories différentes de voitures roulent ensemble en endurance : les LMP1 donc, les LMP2 (non hybrides), et les GT (Grand tourisme) Pro, conduites par des professionnels, et GT Am pour amateurs. Soit 60 voitures aux performances très disparates pour assurer un spectacle unique.

Le fait que Toyota se retrouve seul concurrent dans sa catégorie à l’été 2017 a plongé le WEC dans une profonde crise. Pour en sortir, son président, Gérard Neveu, et le président de l’ACO, Automobile Club de l’Ouest, promoteur des 24 Heures, Pierre Fillon se sont donnés du temps en créant la « super saison 2018-2019 » : quatorze mois incluant deux fois les 24 Heures, ce week-end et en clôture, en juin 2019. Parallèlement, ils ont façonné une nouvelle catégorie de LMP1 en permettant à des écuries privées de prototypes non hybrides d’y accéder : Rebellion Racing (Suisse), Bykolles (Autriche), CEFC TRSM (ex-Manor, Chinois), Dragonspeed (Etats-Unis) et la Russe SMP Racing.

L'arrivée de la 86ème édition des 24 Heures du Mans !
Durée : 01:14

Surclassé

Pour compenser la différence de puissance entre les nouvelles venues et Toyota, cette dernière a fait des concessions, comme ne pas développer de nouvelles technologies. « Ce qui avait pour objectif principal que les temps au tour soient proches entre nos Toyota et les autres autos non-hybrides », expliquait Pascal Vasselon, directeur Technique de Toyota Gazoo.

Des temps « proches » pourtant très loin d’être équivalents. Parties premières, les deux Toyota, la # 7, pilotée par le trio Mike Conway-Kamui Kobayashi-José Maria Lopez, et la #8 ont surclassé leurs poursuivantes, les distançant d’un tour en une heure de course. Dimanche matin à 8 heures, l’écart dépassait les dix tours. Derrière elles, sur les huit « LMP1 privées non hybrides » de cette année, seules les Rebellion #3 et #1 pointaient respectivement 3e et 4e. Quatre avaient abandonné et deux se retrouvaient reléguées au-delà de la 40e place, y compris la #11 du pilote britannique de F1 Jenson Button.

Dans de telles conditions, sur le papier, Toyota ne pouvait que gagner. D’autant qu’au volant, Fernando Alonso est apparu très motivé toute la semaine, s’assurant jeudi facilement la pôle position lors des essais qualificatifs.

« La course est très longue » et la fatigue marque le visage de Fernando Alonso, dimanche 17 juin au matin. / JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Samedi, alors que son « ami » et compatriote Rafael Nadal donnait le départ, la Toyota #8 prenait la tête, pour ne presque plus la lâcher. A 20 h 25, après son premier relais alors qu’il accordait un briefing express de 2 minutes 25 à la presse, Fernando Alonso ne voulait pas tuer le spectacle. Même ultra-favori avec la meilleure voiture il est « impossible de tout contrôler au Mans, rappelait-il : la vitesse est très rapide, le trafic… D’autant que la course est très longue », dix-huit heures à courir encore à cet instant.

« Le plus grand rival de Toyota c’est Toyota », avait prévenu le pilote Ford Sébastien Bourdais jeudi. Effectivement, dans la nuit, la #7 passait en tête après que Sébastien Buemi ait écopé d’un « stop and go » d’une minute pour dépassement de vitesse. Lors de sa deuxième prise de relais, à 1 h 30, le « rookie » (débutant) affichait un retard de 2 min 15 s. Deux heures et demie plus tard, au moment de laisser le volant à Kazuki Nakajima, le champion de F1 était revenu à 45 s. « Je me suis bien senti de nuit, et j’ai poussé pour rattraper », a juste commenté « Nando ».

Quand Fernando Alonso prend le relais de Sébastien Buemi à 1 h 30 du matin dimanche 17 juin, sa Toyota a 2 min 15 s de retard sur sa voiture soeur. / JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

256 900 spectateurs

Du panache, de la modestie… Quid de la gloire. L’histoire du sport automobile oubliera avec le temps les circonstances exceptionnelles de cette 86e édition pour ne retenir que le classement. Dans les bureaux des instances dirigeantes, les organisateurs ont annoncé, vendredi 15 juin, de nouvelles règles du jeu pour l’endurance mondiale de demain, celle d’après 2020. Les prototypes hybrides, trop coûteux pour les constructeurs, devraient laisser place à des Super GT hybrides, plus proches de la voiture de Monsieur Tout le Monde, donc plus « rentables ».

Dans les gradins, autour des 13,626 km de tracé, le public, essentiellement régional, s’était déplacé en nombre, 256 900 selon l’ACO, proche des 258 500 de l’an dernier. Insensible aux évolutions de règlements, même si certains regrettaient « le manque de bataille devant », il est venu en passionné, attiré par la présence de Fernando Alonso bien sûr, mais aussi de Jenson Button, du pilote manceau Sébastien Bourdais, et peut-être aussi par les écrans géants qui ont retransmis en direct les matchs de la Coupe du monde de football.