« Il y a au gouvernement et au Parlement des personnes convaincues sur l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA), et motivées pour faire avancer les choses », dit Flora Bolter. / Pierre Bouvier - Le Monde.fr

« Les discriminations au tapis, dans le sport comme dans nos vies ! » Tel est le mot d’ordre de la Marche des fiertés (Gay Pride), qui doit défiler, samedi 30 juin dans l’après-midi à Paris, entre la place de la Concorde et la place de la République. Alors que l’équipe de France affrontera au même moment l’équipe d’Argentine lors de la Coupe du monde de football, les organisateurs ont mis en avant les discriminations homophobes dans le sport.

Certains collectifs, comme SOS-Homophobie, ont toutefois annoncé qu’ils marcheraient derrière le slogan « PMA, l’égalité n’attend pas ! » pour « demander au gouvernement et à la majorité d’ouvrir au plus vite le débat au Parlement ».

Dans le cortège, les chars d’associations lesbiennes seront peu nombreux. Pour Flora Bolter, co-animatrice de l’Observatoire LGBT + de la Fondation Jean-Jaurès, différents facteurs expliquent la plus faible visibilité des lesbiennes lors des Gay Prides.

On a l’impression que les lesbiennes sont peu visibles dans un défilé comme celui de la Marche des fiertés, mais aussi dans le débat public sur les questions LGBT. Comment l’expliquez-vous ?

D’abord, il y a moins d’établissements et d’associations lesbiennes que d’établissements et d’associations orientés sur un public gay, donc cette différence se retrouve au niveau du nombre de chars et de flyers. Cela s’explique en partie par le fait que de nombreuses associations et initiatives LGBT ont été créées en réponse à l’épidémie de VIH-sida et se concentrent donc davantage sur les relations et le public HSH [les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes].

Un deuxième facteur important est le fait que les lesbiennes et femmes bi ne se retrouvent pas nécessairement dans les discours et pratiques de nombreuses associations LGBT. Il y a eu de multiples clivages au fil des ans entre les associations lesbiennes et les interassociatives LGBT, qui se sont soldées notamment par le départ de la Coordination lesbienne en France de l’Inter-LGBT en 2014, ou par celui de FièrEs en 2015. De nombreux collectifs lesbiens et féministes ne participent pas, ou du moins pas en tant que tels, à la Marche des fiertés et préfèrent être actifs et visibles sur des événements lesbiens et féministes plus que sur des événements LGBT généralistes.

Enfin, une dernière explication est à chercher du côté de la sociologie de la réception. La présomption d’hétérosexualité, c’est-à-dire cette idée que, par défaut, toute personne que l’on rencontre est hétérosexuelle, est me semble-t-il plus forte pour les femmes que pour les hommes : un homme qui défile lors de la Marche des fiertés sera perçu comme nécessairement gay, alors qu’une femme, pas forcément. Du coup, alors qu’il y a beaucoup de femmes à la Marche des fiertés, beaucoup de gens ne vont pas se figurer pour autant y avoir vu des lesbiennes. Cet élément est bien sûr lié à la manière dont se construisent les représentations sociales différenciées entre hommes et femmes.

« Les lesbiennes et femmes bi ne se retrouvent pas nécessairement dans les discours et pratiques de nombreuses associations LGBT », rappelle Flora Bolter. / Pierre Bouvier

Pensez-vous qu’il y a une lesbophobie distincte de l’homophobie gay ?

Il y a très clairement une différence de mécanismes entre la gayphobie et la lesbophobie, et cela se traduit par des types d’agressions différentes. Là où l’imaginaire collectif sursexualise les hommes gay et exerce une violence verbale et physique forte envers les garçons et les hommes qui ne sont pas jugés « suffisamment » masculins/hétérosexuels ; pour les femmes en revanche, l’affirmation de leur identité lesbienne sera davantage disqualifiée, minimisée, réduite à une lubie, voire sexualisée comme un prélude à l’hétérosexualité. Il suffit de voir la représentation des lesbiennes dans les films pornos « classiques » pour s’en convaincre.

Il y a là l’idée qu’une femme n’existe que par rapport à un homme et que son identité, ses désirs n’ont pas d’importance. Dans le meilleur des cas, cela aboutit à une invisibilisation totale des couples de femmes ; dans le pire des cas, cela se traduit par les viols dits « correctifs » qui se pratiquent encore dans de nombreux pays.

Un des éléments que révèle l’enquête de l’IFOP, présentée à la demande de la Fondation Jean-Jaurès et de la DILCRAH [délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT], c’est la prévalence plus forte des agressions LGBT-phobes pour les personnes jugées « androgynes » ou pour les femmes aux cheveux courts. Cette plus grande victimation est la traduction concrète du « rappel à l’ordre » hétéronormatif, qui vise en priorité les personnes qui remettent en question la division traditionnelle des sexes.

Sur le rapport de l’IFOP : Homophobie : un constat alarmant

Certaines associations reprochent à la Marche des fiertés de ne pas mettre en avant des sujets comme la PMA. Qu’en pensez-vous ?

Il y a au gouvernement et au Parlement des personnes convaincues sur l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA), et motivées pour faire avancer les choses. Je sais aussi qu’il y a des voix contre [son ouverture aux femmes célibataires et aux couples de femmes], qui s’expriment avec leur vigueur habituelle, et qu’il y a des élu·e·s qui se pensent fin·e·s stratèges en reportant la discussion aux calendes grecques.

J’espère que le calendrier proposé sera tenu et que le vote pourra se faire début 2019 car le perpétuel report de cette décision est un scandale. Les projets de vie et de parentalité des femmes célibataires ou en couple ne sont pas des jouets. Pour l’instant, les débats parlementaires n’ont pas vraiment commencé et le corps politique reste un peu dans l’expectative. Beaucoup d’entre nous attendent une parole forte et explicite.