Documentaire sur Histoire à 20 h 40

En ces temps sombres et ­menaçants, la promesse d’un travail, d’un salaire, d’un toit ainsi que de la protection des familles, était belle. Aussi certains fourreurs, gantiers ou tailleurs, originaires d’Europe de l’Est, exilés à Paris, décidèrent-ils de se convertir aux travaux des champs. Et, malgré eux, de devenir les esclaves d’un régime abject qui finira par les tuer.

Dans les brumes du passé, longtemps ces hommes n’auront été que des silhouettes fantomatiques traversant les forêts et les champs ardennais. Comme le rappelle à sa manière, grave et mélancolique, le documentaire de Francis Gillery, dont un des premiers mérites est de mettre en lumière un épisode méconnu et tragique de la seconde guerre mondiale.

Tout débute à l’heure de l’exode, lorsque, en mai 1940, les troupes allemandes envahissent le nord de France, puis placent sous un statut proche de l’annexion les départements allant de la Somme au Jura, dont les Ardennes. Outre des conditions d’accès très strictes, les terres agricoles sont confisquées et administrées par la Wirtschaft Oberleitung (Woll), un organisme chargé d’exploiter – sinon piller – les territoires occupés.

Sur 330 juifs employés dans les Ardennes, un tiers parviendra à échapper aux rafles de janvier 1944. / COMPAGNIE DES PHARES ET BALISES

Malgré le recours aux prisonniers de guerre notamment, les bras manquent. Les autorités allemandes se tournent alors vers l’Union générale des israélites de France (UGIF) afin de leur fournir une main-d’œuvre bon marché et fragilisée par son statut : les juifs étrangers. Créé par ­Vichy, sur injonction allemande, cet organisme va servir de relais, et tenter d’améliorer leurs conditions de vie proches du servage. En vain.

Pour autant, les recrutements se poursuivront – sans atteindre les 6 000 hommes escomptés – à mesure que la répression augmente. Les Ardennes apparaissant pour beaucoup comme un « îlot de protection ». Et ce jusqu’au 4 janvier 1944, quand les Allemands vont opérer des rafles.

Sur les 330 juifs présents dans le département, seul un tiers parviendra à s’échapper, aidé par la population. S’appuyant sur les témoignages des rescapés ou de leurs descendants, et sur les recherches minutieuses entreprises par Maurice Rajsfus, Christine Dollard-Leplomb ou les analyses de Michel Laffitte sur le rôle « malsain » de l’UGIF, Francis Gillery restitue avec clarté une histoire aussi sensible et complexe que terrible dans son dénouement.

Les Juifs de la zone interdite, de Francis Gillery (Fr., 2017, 55 min).