Lors de la vente du nouvelle an du 5 janvier 2018, pendant laquelle les enchères étaient traditionnellement les plus importantes. / KAZUHIRO NOGI / AFP

Les cloches, les cris des adjudicateurs dans un jargon éternel, les gestes des poissonniers : l’ambiance de Tsukiji est restée fidèle à son histoire, peu après l’aube, samedi 6 octobre à Tokyo, pour la dernière vente aux enchères avant le déménagement du plus grand marché aux poissons du monde. Après quatre-vingt-trois ans d’histoire, le fournisseur de la mégapole tokyoïte en fruits de mer et haut lieu touristique, va quitter ses gigantesques hangars délabrés aux toits de tôle ouverts à tous les vents, pour rouvrir jeudi sur un site flambant neuf dans la baie de Tokyo.

Le déménagement pour le site de Toyosu était étudié depuis des années. Des grossistes manifestent depuis le début des années 2000 leur inquiétude sur la résistance aux séismes des vieilles structures, la salubrité de ces lieux infestés de rats, et l’usage d’amiante dans certains des bâtiments en état de délabrement.

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Les touristes qui attendaient des heures dans l’espoir d’obtenir une des 120 places accordées pour assister au spectacle de la vente du thon irritaient aussi les grossistes, qui y voyaient une entrave au travail quotidien du marché. Sur le nouveau site aux systèmes de réfrigération ultramodernes, les visiteurs seront confinés dans des galeries spéciales séparées par des vitres.

Le déménagement a plusieurs fois été repoussé et annoncé : en 2016, la gouverneuse de Tokyo, Yuriko Koike, avait remis en cause le dossier en raison de problèmes de pollution du sol à Toyosu, où se trouvait avant une usine à gaz, pour évaluer l’hypothèse de reconstruire Tsukiji sur son ancien emplacement.

Le gouvernement local a dépensé des centaines de millions d’euros pour nettoyer le nouveau site et la gouverneuse a finalement tranché à la fin de 2017 pour le site de Toyosu, en prenant aussi en compte les conséquences d’un nouveau retard sur d’autres travaux, en l’occurrence ceux des voies passant via Tsukiji pour l’accès aux installations des Jeux olympiques de 2020.

« J’en pleure presque »

Quitter les lieux demeure un crève-cœur pour les vétérans, comme Hisao Ishii, qui dit comprendre que tout chaleureux qu’il était, le vieux Tsukiji aux allures insalubre ne pouvait plus durer. « J’en pleure presque », confie à l’Agence France-Presse cet homme de 68 ans, ancien commissaire-priseur revenu sur les lieux pour vivre le grand départ. « Aujourd’hui est un jour triste, un jour d’adieux. Tsukiji a essayé de tenir mais il vieillit », explique-t-il. « Je suis venu le remercier et lui dire au revoir. »

Avant l’aube, les acheteurs en bottes de caoutchouc arpentaient dans le calme le grand hangar réfrigéré où étaient alignées des centaines de thons frais ou surgelés.

Comme à leur habitude, ils tâtaient des morceaux de chair, inspectaient à la lampe de poche les entrailles des mastodontes de la mer et échangeaient avec leurs concurrents des avis de connaisseurs. Ces enchères du thon sont devenues célèbres non seulement pour leurs rituels spectaculaires mais parce que la prestigieuse vente du Nouvel An fait monter les prix à des niveaux extravagants.

Un record de 155,4 millions de yens, ou 1,2 million d’euros (au cours actuel) avait été déboursé lors de la première criée de 2013 par le restaurateur Kiyoshi Kimura pour un thon rouge de 222 kilogrammes.

Après le départ, les hangars abritant les marchands et quelques boutiques et restaurants seront démantelés pour laisser la place, dans un premier temps, à un dépôt de transports pour les Jeux olympiques de 2020.

Le marché extérieur, fait d’un fouillis compact de minuscules restaurants de sushi et de boutiques qui vendent de tout, du café aux algues en passant par la coutellerie, restera, lui, le seul souvenir de Tsukiji.