« The Bookshop » : une librairie comme champ de bataille
« The Bookshop » : une librairie comme champ de bataille
Par Thomas Sotinel
Isabel Coixet adapte un roman de Penelope Fitzgerald en évitant les écueils du film en tweed.
Il fallait sans doute une Catalane comme Isabel Coixet pour déjouer les pièges tendus par un genre – le film britannique à destination d’un public féminin de plus de 40 ans – qui s’étend du drame historique (Le Discours d’un roi) à la comédie gériatrique (Indian Palace). Comme le premier, The Bookshop est un film en costumes (on est sur la côte méridionale de l’Angleterre, en 1959, mais on croirait que le Blitz menace encore). Comme le second, il est en partie peuplé de personnages d’un âge avancé : un ermite misanthrope, Edmund Brundish (Bill Nighy) et une méchante notable, Violet Gamart (Patricia Clarkson), avec, pour compléter le triangle, une veuve quadragénaire, Florence Green (Emily Mortimer).
Heureusement, cette adaptation d’un roman de Penelope Fitzgerald (dont la traduction française porte le titre de La Libraire ou celui de L’Affaire Lolita) évite aussi bien la comédie sentimentale que la célébration du caractère national, travers récurrents des films en tweed. Elle fait de la librairie du titre un champ de bataille où s’opposent la force vitale incarnée par Florence Green – qui ose mettre en vitrine le Lolita de Nabokov – et le conformisme de classe que veut maintenir à tout prix Violet Gamart. Dans ses meilleurs moments, The Bookshop parvient à faire tenir dans le même espace la grandeur de ce combat et la mesquinerie de ses protagonistes, la banalité de la situation et la dimension tragique de leur destin.
Florence Green est revenue dans le village où elle a grandi pour y ouvrir une librairie. Elle y a acquis une bâtisse dans laquelle la terrible Violet Gamart voulait, elle, ouvrir un centre artistique. C’est assez pour que l’intruse suscite la haine de la notable qui mobilise aussi bien ses féaux (un producteur de la BBC à qui James Lance prête une onction insupportable) que les institutions du royaume. Edmund Brundish, dont la réclusion suscite toutes les spéculations dans le village, finit par sortir de sa retraite pour venir au secours de la jeune libraire.
Lumière grise
A moins d’avoir lu le livre de Penelope Fitzgerald, on ne peut deviner ce qui sortira de la situation. Il suffit de prévenir que The Bookshop n’est pas exactement un feel good movie. Même si elle ne parvient pas toujours à articuler les dimensions politique et intime de son histoire, même si elle s’appuie un peu trop sur la lumière grise de la côte anglaise, Isabel Coixet ne détourne pas le regard des souffrances et des destructions que laissent les affrontements qu’elle met en scène.
La performance de Bill Nighy est le meilleur exemple de cette résolution : l’acteur britannique peut se laisser aller à des démonstrations de virtuosité (voir ses performances de vieille rock star dans Still Crazy et Love Actually). Il est ici d’une netteté bouleversante : un spectre vivant qui fait un ultime effort pour se rattacher à la vie. Le scénario l’autorise à s’éloigner des clichés (sa rencontre avec Patricia Clarkson prend un tour inattendu) et les séquences qu’il illumine de sa sombre clarté distinguent The Bookshop du tout-venant de la production britannique.
THE BOOKSHOP Film annonce VO sous titrée français AU CINEMA LE 19 DECEMBRE 2018
Durée : 02:05
Film britannique et espagnol d’Isabel Coixet. Avec Emily Mortimer, Bill Nighy (1 h 53). Sur le Web : www.septiemefactory.com/the-bookshop