C’est une décision qui ne peut que réjouir ceux pour qui Alternative pour l’Allemagne (AfD) n’est pas un parti comme les autres : l’Office fédéral de protection de la Constitution (BfV), le service chargé du renseignement intérieur en Allemagne, a annoncé, mardi 15 janvier, qu’il allait ouvrir une enquête afin de déterminer si l’AfD, devenu en 2017 la principale force d’opposition au Bundestag avec 92 députés (sur 730), menace « l’ordre constitutionnel libéral et démocratique », autrement dit, s’il porte atteinte aux principes de l’Etat de droit.

Pour justifier cette décision, le BfV évoque des « déclarations incompatibles avec le respect de la dignité humaine » tenues par des responsables du parti d’extrême droite, qu’elles soient de nature « islamophobes », « xénophobes », « hostiles à certaines minorités » ou « nationalisto-völkisch », un adjectif difficile à traduire en français mais qui fait référence à un courant de pensée antidémocratique qui s’est structuré à la fin du XIXe siècle en Allemagne autour d’une conception ethnique du peuple, de l’exaltation des racines germaniques et du rejet de l’étranger, constituant l’une des sources de l’idéologie nazie.

Une « mise sous surveillance » potentielle

La décision annoncée mardi ouvre potentiellement la voie à une « mise sous surveillance » de l’AfD. Dans un tel cas, le service chargé du renseignement intérieur pourrait intercepter les télécommunications des membres du parti, stocker des données personnelles, ou encore recruter des informateurs, et ce, en toute légalité.

Si le parti en tant que tel échappe pour le moment à cette menace, tel n’est pas le cas de deux de ses satellites qui eux, font l’objet d’une mise sous surveillance : son organisation de jeunesse (Junge Alternative), et son courant le plus radical, baptisé « L’Aile » (der Flügel) et dirigé par le responsable AfD de la fédération de Thuringe, Björn Höcke, proche des milieux identitaires et auteur de discours qui ont créé le malaise, y compris au sein de l’AfD, comme celui qu’il prononça à Dresde, en janvier 2017, où il qualifia de « monument de la honte » le Mémorial aux victimes de la Shoah, inauguré en 2005 à Berlin.

Décision saluée par l’ensemble des partis politiques de gauche et de droite

Saluée par l’ensemble des partis politiques de gauche et de droite, la décision du BfV a aussi reçu le soutien du ministre de l’intérieur, le conservateur bavarois Horst Seehofer (CSU), qui a évoqué une décision « politiquement importante ». De son côté, le Conseil central des juifs d’Allemagne a estimé qu’il s’agissait d’un « pas dans la bonne direction », appelant les autorités à « ne pas être timides » et à aller jusqu’à mettre officiellement le parti sous surveillance « si les soupçons [à son égard] sont confirmés ».

Demi-surprise mais mauvaise nouvelle pour le parti

Au sein de l’AfD, la réaction ne s’est pas fait attendre. Quelques minutes à peine après l’annonce de la décision du BfV par son directeur, Thomas Haldenwang, les responsables du parti ont tenu une brève conférence de presse depuis le Bundestag, à Berlin, annonçant leur intention de saisir la justice et dénonçant une décision prise « sous pression politique ». Selon Alice Weidel, coprésidente du groupe AfD au Bundestag, cette décision est à mettre en lien avec le limogeage, en novembre 2018, de l’ancien président du BfV, Hans-Georg Maassen. Celui-ci avait notamment été accusé, dans un livre paru quelques semaines plus tôt, d’avoir prodigué des conseils à l’ancienne présidente de l’AfD, Frauke Petry, pour éviter la mise sous surveillance du parti par ses services…

Même si elle ne constitue qu’une demi-surprise, et même si certains estiment qu’elle « s’imposait depuis longtemps », ainsi que l’a écrit le quotidien de centre-gauche Süddeutsche Zeitung, mardi après-midi, cette décision n’en est pas moins une mauvaise nouvelle pour l’AfD, à l’orée d’une année électorale importante.

Outre les élections européennes du 26 mai, lors desquelles il pourrait multiplier par deux son score de 2014 (7,1 %), selon les sondages, le parti attend, en effet, beaucoup des trois scrutins régionaux qui auront lieu en Saxe et dans le Brandebourg, le 1er septembre, puis en Thuringe, le 24 octobre. Dans ces trois Länder d’ex-Allemagne de l’Est, qui sont déjà ses principaux bastions électoraux, l’AfD est aujourd’hui crédité de 21 à 25 % des intentions de vote.