En Côte d’Ivoire, le parti unifié voulu par le président Ouattara naît dans la désunion
En Côte d’Ivoire, le parti unifié voulu par le président Ouattara naît dans la désunion
Par Cyril Bensimon (Abidjan)
Alors que plane l’éventualité d’un troisième mandat du chef de l’Etat en 2020, ce dernier a annoncé qu’il se prononcera « l’année prochaine ».
Alassane Ouattara arrive au premier « congrès ordinaire » du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix à Abidjan. / ISSOUF SANOGO / AFP
La fête fut belle, avec tout le folklore propre à ce type de grandes manifestations politiques en Côte d’Ivoire. La foule de plusieurs dizaines de milliers de personnes s’était massée dès la matinée du samedi 26 septembre à l’intérieur et autour du stade Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan. Les vedettes du Coupé-décalé et du Zouglou, les styles musicaux les plus populaires, faisaient danser les militants entre deux films à la gloire du père fondateur de la nation, Félix Houphouët-Boigny, dont le legs ne cesse d’être mythifié. Les chefs traditionnels étaient venus avec leur bouteille de gin pour opérer les libations nécessaires à la bénédiction de cet instant que tous veulent croire « historique ».
Mais quel était le sens de toute cette cérémonie ? S’agissait-il d’officialiser le dernier acte d’une union politique, née en 2005, en fusionnant dans une même entité les différents partis qui la composent ou bien de préparer la voie à un troisième mandat pour Alassane Ouattara en 2020 ?
Le premier « congrès ordinaire » du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) s’est tenu alors que le temps des incertitudes est revenu en Côte d’Ivoire. L’alliance conclue entre le président Ouattara et l’ancien chef de l’Etat Henri Konan Bédié, qui permit au premier de vaincre Laurent Gbagbo dans les urnes en 2010, semble désormais prête à ranger sur l’étagère où s’entreposent les souvenirs du temps passé.
Depuis son fief de Daoukro, M. Konan Bédié – qui estime que celui qu’il appelait il y a peu son « jeune frère » a trahi sa parole en refusant d’offrir à un candidat de son parti, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), les clés de la présidentielle de 2020 – a revêtu à 84 ans des habits d’opposant et fustigé ce qu’il appelle « le Rassemblement des détourneurs des deniers publics ». Nul doute que Laurent Gbagbo, fraîchement acquitté par la Cour pénale internationale mais toujours en détention à La Haye, et dont le très probable retour dans son pays agite les esprits, se délecte des déchirures entre ces deux hommes qui menèrent à sa chute.
La décision d’Alassane Ouattara connue l’an prochain
Sur la pelouse de la plus grande enceinte sportive d’Abidjan, l’heure n’est cependant pas à l’expression des peurs du lendemain mais à l’affichage d’une confiance sans retenue. Aussi étonnant que cela puisse paraître, les militants du RHDP se réapproprient l’un des slogans de la campagne de Laurent Gbagbo en 2010 – « Y a rien en face » – quand les cadres du nouveau parti « unifié » affirment que « la Côte d’Ivoire rassemblée est là ».
Les déclarations politiques sont parfois à lire en miroir, celles-ci reflétant davantage une espérance, un but à atteindre qu’une réalité. Le discours prononcé par Alassane Ouattara est ainsi à entendre avec les sous entendus, les allusions alors que le président en exercice et son nouvel adversaire se livrent une lutte pour attirer de leur côté les cadres du PDCI tiraillés entre le choix de rester du côté gouvernemental ou la fidélité à leur parti. « Des gens honnêtes. Des gens constants », a-t-il ainsi déclaré à l’endroit de ceux qui ont rallié le RHDP, avant de rendre un hommage appuyé à son ministre de la défense, Hamed Bakayoko, qui fut « le premier prisonnier politique » de Côte d’Ivoire…. Sous la présidence de M. Konan Bédié.
Dans la foule, monte progressivement des appels à un « nouveau mandat ». « Troisième. Troisième », lance Benoît, un chômeur de 26 ans qui dit n’avoir pas bénéficié personnellement des sept années de pouvoir de celui qu’il considère cependant comme « l’homme qui a transformé le pays quand les autres leaders se moquent de la jeunesse. » La réponse à sa requête sera elliptique. « Tout le monde pourra être candidat en 2020… Les militants choisiront le candidat du RHDP… Je vous donnerai ma réponse l’année prochaine », a rétorqué celui qui dit vouloir s’assurer que la Côte d’Ivoire aura « une stabilité inébranlable » lorsqu’il passera la main à son successeur.
Dans l’entourage du chef de l’Etat, de nombreux proches laissent entendre que M. Ouattara souhaite se retirer en 2020 mais qu’il se présentera si MM Konan Bédié et Gbagbo sont de la course. « Ce serait un échec, reconnaît l’un des conseillers du président. Mais le problème est que la Côte d’Ivoire ne s’est pas départie du vote ethnique et Alassane Ouattara est le seul dans nos rangs qui peut rassembler dans toutes les régions. »
Des inquiétudes pèsent sur les prochaines élections
Alors que l’échéance de 2020 est dans toutes les têtes, le professeur de sociologie Francis Akindès s’inquiète :
« Le discours sur la démocratie, c’est de l’habillage car toute la vie politique est centrée sur le partage de la rente et les élections ne sont là que pour réguler l’accès à celle-ci. Cependant, il y a un vrai risque de répétition de ce qui s’était passé en 2010-2011 [lorsque la crise électorale avait débouché sur une guerre entre forces pro Gbagbo et pro Ouattara qui a fait plus de 3 000 morts]. On a vu ce qu’était un affrontement né d’un manque de dialogue. Or, aujourd’hui il n’y a plus de dialogue. »
La Côte d’Ivoire avance dans l’inconnu et le risque paraît d’autant plus grand que près de huit ans après la fin de cette crise, aucun des trois grands leaders qui occupent le devant de la scène politique ivoirienne depuis vingt-cinq ans ne s’est livré à la moindre autocritique. Que ce soit Henri Konan Bédié pour sa gestion catastrophique de l’après Houphouët-Boigny marquée par la montée des discours xénophobes et la gabegie financière. Que ce soit Laurent Gbagbo pour la violence déployée sous sa décennie aux affaires et son refus mortifère de reconnaître sa défaite électorale. Ou bien encore Alassane Ouattara dont la gouvernance est de plus en plus décriée, tout comme la concentration des pouvoirs au sein d’une petite élite originaire du nord du pays.