Négociation sur l’assurance-chômage : le patronat a choisi l’irresponsabilité
Négociation sur l’assurance-chômage : le patronat a choisi l’irresponsabilité
Editorial. En décidant de suspendre leur participation aux discussions portant notamment sur l’abus de CDD, les organisations patronales pratiquent une politique de la terre brûlée.
Francois Asselin, président de la CPME (à gauche), et Geoffroy Roux de Bezieux, son homologue du Medef, à l’Elysée, à Paris, le 10 décembre 2018. / LUDOVIC MARIN/AFP
Editorial du « Monde ». Au milieu de la crise sociale inédite que traverse la France avec le mouvement des « gilets jaunes », le patronat est dans sa bulle. Sans doute craint-il les conséquences de la contestation sur l’activité économique. Mais pour le reste, il coule des jours tranquilles, choyé par Emmanuel Macron, qui a répondu à la plupart de ses attentes, et étonnamment ignoré par les « gilets jaunes ».
Quand ceux-ci réclament des augmentations de salaires, ils ne se tournent pas vers le Medef mais vers l’Etat, comme si c’était lui qui arrêtait, au-delà du smic, les hausses de rémunération dans les entreprises privées. Et si bon nombre de manifestants sur les ronds-points souffrent de la précarité, on ne les a guère entendus exprimer des revendications sur la question du chômage.
Dans ce contexte tendu, la négociation sur l’assurance-chômage, engagée en novembre 2018, revêtait une importance capitale, ne serait-ce que pour montrer qu’il est encore possible dans ce pays d’obtenir des résultats par le dialogue entre partenaires sociaux. Les organisations patronales – le Medef, la CPME et l’Union des entreprises de proximité (U2P) – ont pourtant décidé, lundi 28 janvier, de suspendre leur participation.
Le prétexte ? Le jeudi 24 janvier, dans la Drôme, le chef de l’Etat a réaffirmé sa volonté de réguler le recours aux contrats courts par un système de bonus-malus. Face à la fronde, M. Macron a opportunément et fermement rappelé une promesse de sa campagne. Fin septembre 2018, le « document de cadrage » du premier ministre remis aux partenaires sociaux pour cette négociation, qui fixait l’objectif d’une économie de 3 milliards à 3,9 milliards d’euros pour l’assurance-chômage en trois ans, leur laissait le soin de trouver la bonne solution pour réduire le recours aux contrats courts.
L’Etat va prendre la main
Depuis vingt ans, les CDD de moins d’un mois ont été multipliés par 2,5, ce qui représente un surcoût de 2 milliards d’euros pour l’Unedic. Les entreprises, a affirmé Laurent Berger, « utilisent et surabusent des contrats courts ». Pour le secrétaire général de la CFDT, elles « font payer à l’assurance-chômage leur flexibilité interne ». Un système de bonus-malus aboutirait à moduler les cotisations chômage des employeurs, actuellement de 4,05 %, en fonction du taux de rupture des contrats de travail. Le patronat est vent debout face à une telle réforme, soutenue par les syndicats. Pour Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, elle conduirait à « détruire des CDD et des emplois d’intérim sans pour autant créer des CDI ».
Pour justifier sa désertion des discussions en cours, qui étaient dans l’impasse et devaient s’achever le 20 février, le Medef a dénoncé l’intervention du président de la République « semblant indiquer que le bonus-malus se mettra en place et ce, quel que soit le résultat de la négociation ». « Tous les efforts menés par les négociateurs pour “déprécariser” les contrats courts ont ainsi été balayés d’un revers de main », a renchéri la CPME.
Le patronat pratique ainsi une politique de la terre brûlée. Alors que le chômage, malgré une légère baisse en 2018, reste à un niveau élevé, la recherche d’un compromis était urgente. C’était aussi l’occasion de montrer à un président qui ignore volontiers les corps intermédiaires qu’ils savent faire preuve de sagesse. Le patronat a choisi l’option de l’irresponsabilité. L’Etat va prendre la main et, à l’arrivée, il n’y aura que des perdants.