Pour la presse transalpine, « l’Italie a beaucoup plus à perdre que la France dans cette confrontation »
Pour la presse transalpine, « l’Italie a beaucoup plus à perdre que la France dans cette confrontation »
Le Monde.fr avec AFP
La stratégie de confrontation de Rome inquiète autant le Quai d’Orsay que les journaux italiens, qui parlent des « dégâts de la navigation à vue ».
Luigi Di Maio et Matteo Salvini, le 1er juin à Rome. / REMO CASILLI / REUTERS
En quelques jours, les Alpes « sont devenues un peu plus hautes », déplore, vendredi 8 février, le quotidien italien La Repubblica. Un soulèvement soudain qui n’est pas dû à un phénomène géologique, mais bien au contentieux diplomatique « sans précédent » qui oppose Paris et Rome, au lendemain du rappel de l’ambassadeur de France en Italie.
La rencontre mardi en France du vice-premier ministre Luigi Di Maio, chef de file du Mouvement 5 étoiles (M5S) avec des « gilets jaunes » a été la goutte qui a fait déborder le vase, constate à l’unisson la presse transalpine. « Ce qu’on craignait depuis déjà plusieurs jours dans les milieux diplomatiques – que les relations bilatérales connaissent une crise et qu’il soit par conséquent difficile de faire marche arrière – s’est malheureusement produit », constate le quotidien La Stampa. Une rupture délibérée, « vu l’insistance de l’approche du M5S envers les “gilets jaunes” ».
« Les dégâts de la navigation à vue »
Cette querelle politico-diplomatique « ne date pas d’hier », rappelle le journal économique Il Sole 24 Ore, listant les sujets de désaccord qui ont émaillé ces derniers mois les relations entre le tandem au pouvoir en Italie, Matteo Salvini-Luigi Di Maio, et le président français, Emmanuel Macron. Il y a le chantier du TGV Lyon-Turin, « l’hospitalité » française envers les anciens des Brigades rouges, les sauvetages de migrants en Méditerrannée, l’affaire des chantiers navals STX-Fincantieri, ou encore les affrontements en Libye.
Mais la stratégie du gouvernement italien est devenue, en moins d’une semaine, nettement plus provocante envers ses alliés. Et si elle a vivement déplu au Quai d’Orsay, elle semble aussi prendre de court les journaux italiens. « En une seule semaine nous avons ouvert une crise diplomatique avec la France et détruit la solidarité atlantique sur le Venezuela. Que se passe-t-il ? Où va l’Italie ? La vérité est que l’on ne sait pas », confesse ainsi le Corriere della Sera. « Tout arrive pratiquement par hasard, sans qu’il soit possible d’y voir une stratégie », tranche-t-il dans son éditorial intitulé « Les dégâts de la navigation à vue ».
Car Rome n’apparaît pas vraiment en position de force, abonde, dans la Repubblica, Lucio Caracciolo, directeur de la revue de géopolitique Limes :
« A la vengeance gauloise servie comme un plat qui se mange froid, nous ne pourrons pas opposer grand-chose, car nous sommes, entre autres, plus isolés que jamais dans le cadre euroatlantique. »
Un constat d’autant plus douloureux que les résultats économiques du pays sont toujours aussi décevants, et que la natalité reste en berne, rappelle le quotidien.
Les élections européennes en ligne de mire
Et le journal Il Corriere della Sera de s’inquiéter des conséquences de cette querelle de voisinage, qui risque de nuire davantage aux Italiens qu’aux Français :
« L’Italie a beaucoup plus à perdre dans cette confrontation en se mettant dans une position d’isolement orgueilleux à un moment où les relations entre Paris et Berlin deviennent de plus en plus étroites. »
A un peu plus de trois mois des élections européennes, difficile de ne pas voir dans cette dispute transalpine une manœuvre à visée politique pour Rome, qui tente de faire monter le sentiment antieuropéen. « La priorité est maintenant d’engager le bras de fer pour faire oublier l’absence de programme clair pour les prochaines élections et des sondages en forte baisse, notamment pour le M5S », souligne ainsi Il Giornale.
Car si les deux alliés qui forment le gouvernement italien – la Ligue et le M5S – ont accumulé les désaccords ces derniers mois, ils ne peuvent se passer les uns des autres avant le scrutin européen. « C’est précisément parce que Di Maio et Salvini savent qu’ils ne peuvent pas vraiment se faire mal d’ici au mois de mai qu’ils distribuent des coups à la volée », estime le Corriere della Sera dans son éditorial, qui affirme « ne pas savoir s’il faut en rire ou en pleurer, quand on les voit pratiquer avec autant d’improvisation et de mépris de l’intérêt national ».
Rares soutiens au M5S
Dans cet esprit, la presse italienne, samedi matin, insistait surtout sur le danger d’un isolement durable de l’Italie, imputant à la colère française le désintérêt manifesté par Air France dans le dossier de la reprise d’Alitalia. Le quotidien romain Il Messagero, annonce en « une » des « torsions sur Alitalia et les migrants », tandis que le journal favorable au Mouvement cinq étoiles Il Fatto quotidiano, qui, vendredi, accusait Emmanuel Macron d’avoir « oublié ses insultes », pointe dans son édition du lendemain des « représailles de Macron » contre Alitalia.
Mais pour le reste, hormis le quotidien d’extrême droite La Verita, qui critiquait samedi matin les « nouveaux collaborationnistes » que seraient ceux qui « du Parti démocrate à Forza Italia », critiquent les dernières initiatives du M5S, la presse italienne, dans son ensemble, s’est montrée presque unanime à critiquer les provocations du Mouvement 5 étoiles.
Dans un entretien à La Stampa, publié samedi, le secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, Manlio Di Stefano (M5S), affirme que « Macron a vraiment exagéré », et que « rappeler l’ambassadeur pour un sentiment d’agacement après des critiques » est un geste « disproportionné », révélateur de la difficulté d’accepter « un gouvernement italien qui, pour la première fois, dit les choses comme elles sont ».
Mais il semble particulièrement mal placé pour formuler ce genre de critiques, alors que le 29 janvier, dans un message sur Facebook, ce dernier avait cru bon de déceler chez Emmanuel Macron « le syndrome du petit pénis ».