Denis Mukwege ouvre le Forum mondial sur la paix par un discours alarmiste
Denis Mukwege ouvre le Forum mondial sur la paix par un discours alarmiste
Par Annick Cojean
Le médecin congolais, prix Nobel de la paix 2018, a lancé à Caen, à la veille des commémorations du Débarquement, un vibrant appel à renforcer les démocraties.
C’est par un discours puissant et alarmiste que le docteur congolais Denis Mukwege, prix Nobel de la paix 2018, a ouvert le Forum mondial sur la paix organisé à Caen, mardi 4 juin, par la région Normandie à la veille des célébrations du 75e anniversaire du Débarquement. Un discours dont la gravité a teinté l’ensemble des débats qui ont suivi et dont les idées se retrouvent dans un Manifeste pour la paix, co-rédigé par quatre Nobel exceptionnellement réunis à Caen ( M. Mukwege, l’Américaine Jody Williams, l’Egyptien Mohammed ElBaradei et la Libérienne Leymah Gbowee) et désormais proposé à la signature dans le monde entier.
Evoquant les millions de morts de la seconde guerre mondiale et l’injonction du « plus
jamais ça » qui a notamment abouti à la création de l’Union européenne devenue « le
modèle d’intégration régional le plus avancé et le plus envié du monde », Denis Mukwege note que « le multilatéralisme est aujourd’hui mis à rude épreuve par la tentation du repli. Avec le Brexit et les résultats des dernières élections européennes, nous constatons que les acquis si chèrement gagnés sont menacés. Ce qui semblait solide apparaît désormais comme fragile. »
Sur les plages, des soldats aux migrants
Et d’insister, alors même que ce forum était organisé sous le slogan « Faiseurs de
paix » : « Avec effroi, nous assistons en ce début du 21e siècle à une régression face à nos droits, à nos libertés fondamentales… L’autre, l’étranger, celle ou celui qui est différent, sont pointés du doigt comme étant la source des problèmes. Les paroles de haine mènent à des actes d’agressions racistes et sexistes. Les idées extrémistes tendent à se banaliser dans la société et dans le discours politique de nombreux pays, au point d’être parfois reprises par les partis démocratiques. »
Le docteur fait alors un parallèle entre les soldats débarquant en 1944 sur les plages
normandes pour sauver l’Europe afin qu’elle regagne « paix et liberté » et les corps
retrouvés aujourd’hui sur d’autres plages, cadavres de migrants ayant fui la misère et la
violence pour rechercher en Europe cette paix et cette liberté si précieuses.
« Ce sang versé par les combattants étrangers, morts sur le sol européen, doit appeler à plus de solidarité et de fraternité entre des peuples d’horizons différents. »
Encore faudrait-il éviter que l’Europe et le monde occidental ne soient les seuls oasis de paix et de prospérité. Encore faudrait-il créer les conditions nécessaires pour éviter à la source les guerres et les injustices qui acculent réfugiés et migrants à vouloir survivre ailleurs. « En diminuant cette pression migratoire, nous briserons le narratif qui fait monter le populisme et ses politiques de rejet et d’exclusion dans les pays les plus privilégiés. » Un impératif d’autant plus criant que « les prochaines vagues migratoires seront liées au changement climatique qui nous affectera tous ».
« Il n’y aura de paix durable sans la participation des femmes »
Il est urgent, dit le médecin, d’ouvrir les yeux et de sortir de « cet état d’anesthésie dans lequel nous semblons plonger sans réagir ». L’évocation de la situation désastreuse du Congo englué dans « un conflit bassement économique dont l’objet est l’accaparement des ressources minières nécessaires notamment aux téléphones mobiles », lui permet d’évoquer les souffrances des femmes, premières victimes de la violence décidée par les hommes, mais capables, insiste-t-il, de transformer leur souffrance en pouvoir.
« Mieux que quiconque, les femmes savent ce qui est bon et nécessaire pour leurs enfants et pour le bien-être de leur communauté. La société ne peut plus se permettre d’exclure des tables de négociations la moitié des voix de l’humanité. Elles doivent être pleinement associées au partenariat pour la gestion des crises et la résolution des conflits car il n’y aura de paix durable sans la participation des femmes. »
Il conclut par une supplique aux habitants des pays en paix et en démocratie : « Travaillez chaque jour pour les préserver et les nourrir ! N’attendez pas de les perdre pour vous investir à les récupérer ! » Enfin, à quelques heures de l’arrivée en Normandie de nombreux chefs d’Etat et notamment du président Donald Trump, le docteur congolais insiste : « Avant qu’il ne soit trop tard, refusons toute forme d’indulgence à l’égard du racisme et du sexisme ; et mobilisons-nous contre un projet de société liberticide qui cherche à imposer le mensonge et la haine au service de l’oppression et de l’autoritarisme. »