Manifestation contre le premier ministre Andrej Babis, soupçonné de corruption, et la nouvelle ministre de la justice, Marie Benesova, à Prague, le 4 juin 2019. / MICHAL CIZEK / AFP

Ils ont remporté leur pari. Les organisateurs espéraient réunir l’une des manifestations les plus importantes jamais observées en République tchèque, depuis la transition démocratique de 1989. Dans la soirée du mardi 4 juin, plus de 120 000 personnes se sont massées sur l’emblématique place Venceslas de Prague, pour réclamer la démission du premier ministre, accusé de conflit d’intérêts par un rapport préliminaire de la Commission européenne, publié, début juin, notamment par le quotidien économique Hospodářské noviny.

Bruxelles réclame au chef de l’exécutif tchèque le remboursement de 17,4 millions d’euros de subventions européennes. Mais M. Babis rejette catégoriquement toutes les critiques à son égard. « Cet audit est une attaque contre la République tchèque », a-t-il déclaré devant les députés qui débattaient de sa légitimité à représenter ce pays d’Europe centrale de 10,4 millions d’habitants dans le cadre des négociations pour le prochain budget européen.

« C’est la cinquième fois que les Tchèques descendaient dans la rue depuis le 29 avril », s’est félicité Jakub Dostal, l’un des membres de la plate-forme civique apolitique Million de moments pour la démocratie, à l’origine de l’initiative. « Le nombre des participants ne cesse d’augmenter, car il est inacceptable que le chef du gouvernement continue à faire du business comme le fait M. Babis. Cela peut perturber le système démocratique. »

« Exercice impartial compromis »

En décembre 2018, « Le Monde » avait révélé une note confidentielle des services juridiques de Bruxelles concluant qu’Andrej Babis, qui dirige une coalition minoritaire avec les sociaux-démocrates grâce, depuis un an, au soutien parlementaire des communistes, « apparaît comme le seul bénéficiaire » de trusts dans lesquels ont été placées en 2017 ses parts dans deux entreprises, Agrofert et d’Agrofert Group. Cette dernière entreprise possède elle-même des participations dans 200 à 300 sociétés opérant dans les secteurs agricoles, agroalimentaires ou chimiques.

La conclusion des services de la Commission établissait qu’« en tant que bénéficiaire de deux trusts », M. Babis avait « un intérêt dans le succès économique d’Agrofert et d’Agrofert Group » et que « l’exercice impartial et objectif » de ses fonctions de premier ministre dans ce pays membre de l’UE depuis 2004 s’en trouvait « compromis ».

Fin avril, une nouvelle ministre de la justice, Marie Benesova, a été nommée. Les protestataires la soupçonnent de protéger le chef du gouvernement contre d’éventuelles poursuites judiciaires. Son prédécesseur avait démissionné quelques jours seulement après une recommandation émise par la police de mettre en accusation Andrej Babis, par ailleurs soupçonné d’avoir artificiellement saucissonné, en 2007-2008, un projet hôtelier de son conglomérat dans l’unique but de bénéficier d’une aide européenne de 2 millions d’euros.

La Commission s’est penchée sur la situation après avoir reçu une lettre de signalement de l’ONG en lutte contre la corruption, Transparency International. D’origine slovaque, Andrej Babis est devenu la deuxième fortune de la République tchèque en trois décennies, grâce à des investissements fructueux dans de nombreux domaines. Il n’est entré en politique qu’en 2011, créant de toutes pièces une formation populiste, ANO (Action des citoyens mécontents), de tendance libérale et antisystème, vouée à lutter… contre la corruption des élites politiques alors en place.