Pyongyang opte pour la stratégie du tir
Pyongyang opte pour la stratégie du tir
Par Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)
La Corée du Nord veut faire cesser les exercices conjoints américano-sud-coréens.
Le président américain, Donald Trump, lors d’une rencontre avec le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un à Panmunjom, le 30 juin 2019. / Kevin Lamarque / REUTERS
En enchaînant les tirs de « projectiles », la Corée du Nord ne contribue pas, en apparence, à sortir de l’impasse les négociations sur la dénucléarisation. Les 25 et 31 juillet, puis le 2 août, les militaires nord-coréens ont, sous l’œil du dirigeant Kim Jong-un, effectué des essais de missiles à courte portée dérivés semble-t-il du modèle russe Iskander et baptisés KN-23, mais aussi « d’un nouveau lanceur multiple de roquettes guidées et de gros calibre » et d’une « nouvelle arme tactique guidée ».
Pyongyang exprime ainsi son mécontentement vis-à-vis de la tenue prévue en août d’exercices conjoints américano-sud-coréens, baptisés « 19-2 Dong Maeng » (« Alliance 19-2 »). Pour la Corée du Nord, il s’agit « d’initiatives militaires dangereuses et hostiles, contredisant les avancées vers la paix observées dans la péninsule ».
Dans un communiqué du 16 juillet, Pyongyang rappelait que le président américain, Donald Trump, avait, lors de sa rencontre avec Kim Jong-un le 30 juin à Panmunjom – unique point de contact de la zone démilitarisée (DMZ) qui coupe la péninsule coréenne en deux –, assuré que ces exercices seraient « suspendus », et que, lors du premier sommet Kim-Trump, en juin 2018 à Singapour, il avait évoqué la fin des « jeux de guerre ».
Depuis, certains exercices ont été annulés, d’autres ont vu leur échelle réduite et ont été rebaptisés « Dong Maeng ». Il est à noter que la première série de tirs de missiles par la Corée du Nord depuis 2017 a été menée début mai 2019, en même temps que les exercices « 19-1 Dong Maeng ».
Frustration
La Corée du Nord voit dans les manœuvres conjointes les préparatifs d’une invasion de son territoire. Comme le rappelle le spécialiste Harry J. Kazianis, dans un article paru dans la revue américaine The National Interest, les exercices ont toujours pesé sur les négociations avec Pyongyang. En 1986 déjà, des discussions avaient été interrompues à cause des manœuvres appelées « Team Spirit ».
Plus spécifiquement, les récents tirs nord-coréens ciblent aussi Séoul, pour des raisons autant militaires qu’économiques. Après les essais du 25 juillet, Kim Jong-un avait « conseillé » au président sud-coréen, Moon Jae-in, de « mettre fin aux actes suicidaires tels que celui de mettre en service des armes ultramodernes ». En juillet, la Corée du Sud a annoncé l’acquisition de deux nouveaux avions de combat F-35, dont la furtivité est, d’après Daniel DePetris, chercheur au centre d’analyse américain Defense Priorities, « hautement dangereuse » pour le Nord.
Les tirs nord-coréens – menés selon différentes trajectoires – semblent avoir permis de soulever des interrogations sur la solidité des défenses antimissiles du Sud.
Outre les questions militaires, Pyongyang manifeste une certaine frustration face à l’absence de progrès dans la coopération économique intercoréenne. Depuis la baisse des tensions dans la péninsule début 2018, les échanges se limitent à des gestes symboliques, rencontres sportives, concerts ou encore projets d’aide humanitaire.
Rencontre secrète
Pour Andreï Lankov, sur le site spécialisé NK News, « ce symbolisme bon marché n’est pas ce que la Corée du Nord veut, ni ce dont elle a besoin ». Selon le chercheur de l’université Kookmin de Séoul, Pyongyang « veut le redémarrage du complexe industriel de Kaesong et des projets économiques conjoints, en d’autres termes, une injection significative de capitaux sud-coréens dans son économie ». Or, les sanctions onusiennes imposées à la Corée du Nord interdisent au Sud de le faire, à moins que M. Moon ne convainque Donald Trump de faire des concessions.
Dans ce sens, les tirs serviraient aussi à exercer une forme de pression sur l’administration Trump. Le 12 avril, Kim Jong-un avait donné jusqu’à la fin de l’année aux Américains pour qu’ils fassent preuve de flexibilité dans les négociations.
En choisissant de tirer des engins à courte portée, Pyongyang évite dans le même temps de braquer Washington. Jeudi 1er août, Donald Trump estimait que les négociations sur la dénucléarisation pouvaient continuer car les missiles lancés « sont à courte portée ». « Nous n’avons jamais discuté de ça. Nous parlons du nucléaire. »
De fait, une rencontre secrète entre Américains et Nord-Coréens aurait eu lieu la semaine dernière à Panmunjom. La partie nord-coréenne aurait affirmé que les discussions de travail pourraient reprendre rapidement. Ce qui semble possible, mais pas avant la fin de « 19-2 Dong Maeng ».