« Reza » : faire de l’existence la source d’un poème permanent
« Reza » : faire de l’existence la source d’un poème permanent
Par Mathieu Macheret
Romancier, poète, conteur, critique de cinéma et scénariste, Alireza Motamedi signe un premier long-métrage dont il est aussi l’interprète principal et producteur.
Surgi discrètement en queue de cortège des sorties estivales, l’atypique et attachant Reza risque bien de déjouer l’image que l’on se fait du cinéma iranien tel qu’il arrive habituellement sur nos écrans. Point ici de savant brouillage entre fiction et réalité (Abbas Kiarostami, Jafar Panahi), ni d’épineux guêpier moral (Asghar Farhadi), mais une délicate et drolatique étude de mœurs, qui n’est pas sans frayer avec certains modèles occidentaux, notamment celui de l’ego-trip urbain et sentimental façon Woody Allen.
Ce premier long-métrage est l’œuvre d’Alireza Motamedi, spécialiste en littérature persane né en 1978, et que précède une carrière déjà non négligeable de romancier, poète, conteur, critique de cinéma et scénariste. Prolifique et hyperactif, Motamedi s’inscrit d’entrée de jeu dans la catégorie des cumulards, qui, non content d’écrire et réaliser son film, en est également le producteur et l’interprète principal.
Le passage d’Alireza à Reza, et donc de l’auteur à son personnage, ne nous dit pas si le récit est autobiographique, mais suggère à quel point il est personnel, proche de lui. Reza est lui aussi un artiste (écrivain et architecte) que l’on découvre au moment critique de sa séparation d’avec sa femme Fati (Sahar Dolatshahi) après neuf ans de mariage. Pourtant, entre elle et lui, ni cri, ni larme, ni règlement de comptes, mais une complicité inentamée, comme s’ils n’avaient jamais été aussi proches. A tel point qu’ils en viennent à concocter un numéro de toutes pièces pour comparaître avec plus de crédibilité devant le juge des divorces.
Un type de masculinité à part
Toujours amoureux, Reza traîne sa dégaine bonhomme et légèrement déphasée dans les rues et sur les ponts d’Ispahan, la ville safavide comme sortie d’un rêve de beauté. Il fait ainsi la rencontre de Violet (Setareh Pesyani), tenancière chrétienne d’un café peu achalandé. Mais les retours intempestifs de Fati auprès de lui l’empêchent de nouer une quelconque relation et le replongent à chaque fois dans un amour qui ne veut pas mourir.
Des raisons du départ de Fati, le film ne dira rien, même si on les devine à demi-mot (désir d’indépendance, envie d’aller voir ailleurs). Il s’attache plutôt à cette brèche d’indécision qu’ouvre pour Reza la sortie hors d’une conjugalité érigée en modèle normatif (lui et Fati s’inquiètent des réactions de leurs parents). Fait de conversations avec, tout à tour, des cousines, d’anciennes amies ou des rencontres amoureuses, le film replace son personnage dans l’écheveau d’un rapport plus général aux femmes. Des relations qui, pour une fois, ne sont pas présentées sous l’angle d’une domination unilatérale, mais d’une ouverture et d’une curiosité facilitées par le milieu bourgeois dans lequel elles s’inscrivent.
Reza, avec sa barbe rousse aux accents nordiques, présente lui-même un type de masculinité à part, résolument non conquérante, assouplie par l’embonpoint, s’exprimant avec une voix douce et des mots imprégnés de poésie. Déjouant bon nombre de clichés sur la société iranienne, ici saisie sous son profil le plus moderne, le film peut se voir comme une ode aux femmes qui la composent, aussi bien qu’aux visages rayonnants des actrices qui les incarnent.
Découpé en saynètes, Reza affiche une mise en scène simple, parfois quelque peu monolithique, mais dont les prises longues servent judicieusement le naturel et la bonne alchimie entre les comédiens, d’un charme et d’une spontanéité confondants. Motamedi compose des cadres soignés, jamais écrasants, qui saisissent les lumières radieuses, la musicalité nocturne, les perspectives somptueuses d’Ispahan, sertissant la dérive du personnage d’un écrin rêveur. Le film prône ainsi un rapport esthétique au monde, une aptitude à sublimer les passages à vide ou les accidents de la vie, à faire de l’existence, fût-elle insignifiante, la source d’un poème permanent – comme en témoigne le conte sur la fondation d’Ispahan que Reza décline en voix off et en perse ancien.
S’il se tient hors du champ politique, c’est non sans retrouver par la bande une politique toute personnelle de disponibilité envers la beauté du monde et des autres. Et si Alireza Motamedi se place lui-même au centre de cette ronde sentimentale assez peu glorieuse (le personnage est mis plus d’une fois en situation de faiblesse ou pris à défaut), c’est tout autant par narcissisme que par honnêteté : celle d’un auteur qui engage sa propre personne, son propre corps, dans la restitution harmonieuse de cette matière souvent banale, chaotique ou tout bonnement décevante, qu’on nomme le « vécu ».
Reza Trailer
Durée : 00:48
Film iranien de et avec Alireza Motamedi. Avec Sahar Dolatshahi, Solmaz Ghani, Reza Davoudnejad, Setareh Pesyani (1 h 34).