1er-Mai à Paris : « Ceux qui bastonnent, ils viennent aussi contre la loi El Khomri »
1er-Mai à Paris : « Ceux qui bastonnent, ils viennent aussi contre la loi El Khomri »
Par Juliette Harau
La marche de la Journée internationale des travailleurs a été émaillée de violents affrontements entre forces de l’ordre et manifestants en première ligne du cortège.
17 000 personnes ont participé à la marche du 1er Mai à Paris selon la police, 70 000 selon la CGT. | ALAIN JOCARD / AFP
La traditionnelle « tête de cortège » du 1er-Mai avait un visage peu habituel ce dimanche lors du défilé parisien entre les places de la Bastille et de la Nation. Les syndicats et partis politiques se sont bien faits entendre, ballons et bannières en l’air, mais pas en première ligne. A l’avant, ce sont les affrontements entre les CRS et des manifestants aux visages dissimulés derrière des foulards et autres masques de ski qui ont donné le rythme.
Avant le départ à 15 heures, des fanfares occupent joyeusement les marches de l’Opéra Bastille en reprenant des chants biens connus des militants de gauche. Mais dès les premiers pas de la marche, les manifestants aux premiers rangs et les CRS se font face. Les participants – 17 000 selon la police, 70 000 selon la CGT – n’ont pas encore tous quitté le point de ralliement qu’éclatent les premières grenades assourdissantes. Déjà, le leitmotiv « tout le monde déteste la police » est repris à plein poumons. Il résonne encore à l’arrivée, 2 kilomètres et pas moins de 3 heures plus tard, après d’incessantes interruptions du cortège parti en fumée de « lacrymo ».
« Laissez nous marcher »
« C’est de la provoc’, s’indigne David, manifestant de 29 ans, en s’éloignant d’un premier nuage de gaz. La police sait bien organiser les défilés si elle le veut. » Malgré l’agitation des rangs, le jeune homme refuse d’abandonner la marche : « On ne va pas quitter une manifestation autorisée juste parce qu’il y a des lacrymo. Tout ça c’est pour les images du 20 heures, pour qu’on ne retienne que la violence et qu’on oublie que les gens sont là pour un mouvement social d’ampleur. »
A côté de ceux venus pour en découdre, d’autres se retrouvent pris entre deux feux. Les plus agacés par les débordements ont déjà rebroussé chemin. Ceux qui restent en avant, nombreux, sont décidés à ne pas céder le terrain d’une manifestation autorisée. Ils chantent « laissez nous marcher », avancent les mains levées. Sur le front, les explosions se multiplient, les projectiles volent, fumigènes contre grenades. C’est un peu la panique, quelques consignes circulent à l’adresse des néophytes : « Eloignez vous des murs », « reculez doucement ».
« Ceux qui bastonnent »
« Ceux qui bastonnent, ils viennent aussi contre la loi El Khomri, estime Xavier Mathieu, ancien leader CGT de l’usine Continental de Clairoix (Oise). Juste, eux, ils viennent équipés. » Titouan, lycéen mobilisé depuis plusieurs semaines contre le projet de loi travail, est moins convaincu : « Même s’ils ne font pas ça juste pour casser et qu’il y a des idées politiques derrière leur démarche, ils donnent une mauvaise image de leur mouvement. »
A l’angle du boulevard Diderot et de la rue de Chaligny, le défilé est immobilisé plus de trois quarts d’heure. Un cordon de CRS sépare près de 500 personnes, à l’avant, du reste des manifestants. « C’est la meilleure façon de tout faire péter », s’énerve Xavier Mathieu. L’étau se resserre, le face à face se durcit. Les premiers blessés trouvent refuge derrière des portes d’immeubles, assistés par les « médics », l’équipe médicale volontaire de Nuit debout.
Olivier, 17ans, se fait soigner sur le trottoir lors de la manifestation du 1er Mai à Paris. | Juliette harau/ Le Monde
Court moment de répit
La marche reprend finalement, par soubresauts, mais plus sereinement. A l’arrière, les rangs sont plus souriants, mais les yeux des participants sont aussi rougis par les fumées. Arrivé place de la Nation, le 1er-Mai reprend ses droits : slogans, banderoles et multitude de tracts dessinant un patchwork de causes, du féminisme à la situation des Tamouls.
Les débordements sont oubliés pour un court moment de répit. « C’était juste plus long », évacue Emmanuelle Binot, déléguée Sud rail en haussant les épaules. « Aujourd’hui il y a une vraie situation douloureuse au travail pour beaucoup de personnes, préfère-t-elle rappeler. Changer la société ça ne passe pas que par les textes, c’est un combat quotidien, dans les entreprises et dans la rue. »
Mais le calme ne dure pas. Moins d’une heure plus tard, la place est évacuée par les CRS et dix personnes sont interpellées. Les mouvements de foule précipités répondent aux pluies de grenades. « On est tous des casseurs », entonne un groupe, prêt à l’affrontement. « C’est juste des jeunes qui n’en peuvent plus », plaide Elisa, manifestante de 50 ans, après avoir vainement tenté de les raisonner.
Gilles, plasticien de 53 ans, observe la scène de loin, l’air las, « pour voir comment [les CRS] font ». Il est « debout » depuis un mois, « n’a jamais bouffé autant de lacrymo. Dans les manifs on est traités comme des moutons, encerclés, gazés, tapés à l’occasion. Celle-ci était particulièrement horrible. » Mais il se dit « exalté » par ce qu’il se passe autour du mouvement Nuit debout où il estime qu’« un verrou a sauté ». « On verra mardi », ajoute-t-il en prenant le chemin de la place de la République. Les tensions s’y sont prolongées dans la soirée dimanche. Mardi, le débat sur le projet de loi travail s’ouvre au Parlement.