Il a beau être interrompu toutes les dix minutes par de nouvelles – et légitimes – doléances, Simon Njami reste zen. Le commissaire de la douzième édition de la Biennale Dak’Art, qui doit ouvrir ses portes le 3 mai, aurait pourtant toutes les raisons de s’arracher les cheveux. Du manque d’outils et de bras pour monter les expositions aux erreurs commises dans les réservations des billets d’avion des invités, l’état d’avancement de l’exposition centrale « Réenchantement », organisée pour la première fois dans l’ancien Palais de justice de Dakar, était tel, lundi 2 mai, qu’on peinait à imaginer son inauguration le lendemain par le président Macky Sall. Par ailleurs, mardi matin, à deux heures de la réunion officielle lors de laquelle les membres du jury devaient décerner les prix de la Biennale, seules 40 % des œuvres étaient accrochées. Entretien.

Vous aviez demandé des gages pour assumer cette année le commissariat de Dak’Art. Pourtant, la pagaille de cette année n’est guère différente des éditions précédentes, non ?

Je savais que c’était un challenge. J’ai obtenu cet espace, la Cour de justice, qui était une condition sine qua non. Je voulais casser avec la routine et disposer d’un vrai espace contemporain. Ce lieu, qui était fermé depuis vingt ans, existe soudain dans toutes les têtes, au point que l’administration se pose la question d’en faire un musée d’art contemporain. C’est ici qu’avait eu lieu le volet « art contemporain » du premier Festival des arts nègres de 1966. J’avais aussi souhaité que le catalogue se fasse sous mon contrôle total. Quand j’ai pris le commissariat, il était tard, en vérité. Il ne fallait pas s’attendre à des miracles, le temps était court. En être là dans un temps record, c’est plutôt pas mal. Je préfère le confort à la course, mais j’ai sprinté sur bien des continents et bien des projets.

Pourquoi persister ?

Parce que c’est la seule biennale d’art contemporain en Afrique créée par l’Etat et qui perdure bon an mal an.

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Justement, la gestion de l’événement par l’Etat semble assez chaotique…

Il y a des technicités que l’Etat n’a pas, et qui fluidifieraient la mécanique. Les rouages doivent être revus. Le problème tient à la volatilité des choses. Les gens se suivent et ne se ressemblent pas. Si l’Etat sous-traitait tout en gardant la main, cela changerait les choses. Il faut réenchanter ceux qui sont en charge de la chose.

Pourquoi avez-vous précisément choisi comme thématique le « réenchantement » ? Est-ce de l’optimisme forcené ?

C’est du volontarisme. Il ne faut pas croire à la fatalité, au « ici c’est comme ça ». Je n’ai pas de sympathie pour les victimes, ceux qui se gargarisent de leur « victimitude ».

Une des salles de la Dak'Art 2016, la veille de l'inauguration officielle par le président Macky Sall. | DR

Du sanglot de l’homme noir ?

Du sanglot de l’homme en général. Il faut redonner confiance aux gens. Cela passe dans l’exposition, par la moyenne d’âge des 66 artistes : 95 % d’entre eux n’ont jamais participé au « in » de la Biennale. Ils ont pris des risques, osé des choses.

Comment avez-vous tricoté une liste d’artistes en si peu de temps ?

Près de la moitié des artistes ont été choisis après un appel à candidatures. Il y a des gens que je ne connaissais pas, ou que j’ai connus en culotte courte. C’est un vrai souffle. Il y a du potentiel dans ce vivier. L’artiste Lavar Munroe (Bahamas) est pour moi une découverte, tout comme Modupeola Fadugba (Togo). Ils sont sérieux sans se prendre au sérieux.

Pourquoi avez-vous choisi une majorité d’artistes nigérians ? Est-ce au Nigeria que tout se passe aujourd’hui ?

C’était important d’indiquer aux Nigérians qu’il y a des gens pour trouver leurs artistes intéressants. Je voulais que le Nigeria regarde de plus près ses artistes.

Le président Macky Sall a imposé le Qatar comme pays invité, ce qui vous a conduit à dire qu’il avait été « cocommissaire »…

Il a invité le Qatar, pourquoi pas. C’est un mélange des genres, de la diplomatie et de l’art… Je suis sûr que ma formule l’a fait rire. Ce sont les autres qui étaient crispés.

Vous rendez aussi plusieurs hommages à des artistes sénégalais décédés.

La mémoire est essentielle, surtout dans certains territoires où elle n’est pas si tangible que cela, où sa tangibilité relève de l’aberration ou du vestige colonial. C’est dans cet esprit que l’ouverture officielle a lieu au théâtre Daniel-Sorano, haut-lieu du premier Festival des arts nègres.

Vous souhaitez retrouver l’esprit de Senghor ?

Il faut se souvenir qu’il y a des gens qui ont rêvé. Les gens ont rêvé d’indépendance ou d’aller sur la Lune. Il faut s’en donner la force, et savoir qu’on l’a. J’avais fait à Bruxelles, en 2010, l’exposition « Un rêve utile ». Rêver, c’est se dépasser. Si on reste dans les rails, on ne décolle pas.

Mais le rêve ne se heurte-t-il pas au principe de réalité ?

A la fin, même avec un seul tournevis et un marteau, on finit par avoir une exposition. Ça demande de l’énergie, mais elle est partagée. Les gens qui participent en sont conscients, et chacun gère, s’engage. L’important, c’est de mettre à l’eau ce bon sang de bateau !

Dak’Art, du 3 mai au 3 juin 2016. www.dakart.net