Mario Draghi, bouc émissaire
Mario Draghi, bouc émissaire
LE MONDE ECONOMIE
Les attaques allemandes contre le patron de la Banque centrale européenne illustre à quel point l’économie est une science inexacte.
Héros d’un jour, héros toujours ? Pas en Europe. Mario Draghi, le patron de la Banque centrale européenne (BCE), en sait quelque chose. En 2012, lorsqu’il parvint en quelques mots à éteindre la spéculation sur les dettes souveraines, on l’encensait comme le sauveur de l’euro. Mais depuis, les pourfendeurs de son action l’ont fait tomber de son piédestal. Et plus d’une fois.
Les attaques les plus virulentes viennent d’outre-Rhin, où l’on n’a jamais vu d’un très bon œil les mesures accommodantes de l’institut monétaire. Depuis quelques semaines, nombre de conservateurs allemands reprochent à la politique de taux bas de la BCE de laminer les épargnants de Munich ou de Francfort. Le 10 avril, le ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble, a quant à lui accusé M. Draghi de mettre en danger le système financier. Mais aussi d’être responsable… de la montée de l’extrême droite dans son pays.
Et pourquoi pas du réchauffement climatique et de l’épidémie Zika, pendant qu’on y est ? La sortie de M. Schäuble est si peu fine que même Jens Weidmann, le patron de la puissante Bundesbank, est intervenu pour défendre la BCE. Ces dernières années, il était pourtant le premier à la critiquer… C’est dire si Mario Draghi est devenu un bouc émissaire facile.
Stagnation séculaire
La façon dont les conservateurs allemands l’attaquent est éclairante à plusieurs niveaux. D’abord, elle illustre à quel point l’économie est une science inexacte. Et combien ceux qui la font sont aveuglés par leurs propres obsessions. De fait, une partie de l’Allemagne, toujours traumatisée par l’hyperinflation des années 1920 (cela fait bientôt cent ans !), obnubilée par la protection du pécule de ses retraités, oublie que sans l’action de la BCE, la zone euro serait probablement en déflation. La situation serait alors bien plus dramatique, pour les épargnants comme pour les banques et l’ensemble de l’économie outre-Rhin.
Surtout : blâmer les banques centrales pour les taux bas est aussi absurde que de tuer le messager. Les taux d’intérêt de long terme, qui ne dépendent pas seulement d’elles, ont commencé à baisser bien avant la crise. Ils sont le reflet des mutations à l’œuvre dans l’économie mondiale, plongée dans ce que Christine Lagarde, au Fonds monétaire international (FMI), appelle le « nouveau médiocre ». Plus prosaïquement, d’autres parlent de stagnation séculaire.
Dans l’ensemble des pays industrialisés, la croissance est plus faible. Parce que la productivité fléchit. Parce que partout, ou presque, la part de la valeur ajoutée attribuée aux salaires diminue face à celle accordée aux profits, les inégalités grimpent et la population vieillit. Mais aussi car certaines régions du monde sont trop endettées, tandis que d’autres affichent un excès d’épargne.
Comment enrayer cette croissance médiocre ? Relance budgétaire, investissements, réformes structurelles… Si les pistes sont nombreuses, personne ne connaît vraiment la réponse. Y compris les banquiers centraux, aussi déroutés que les autres en la matière. Mais une chose est sûre : leur jeter la pierre ne résoudra pas le problème. Il pourrait même l’aggraver.