Pédophilie dans le diocèse de Lyon : ce que l’on sait
Pédophilie dans le diocèse de Lyon : ce que l’on sait
Par Samuel Laurent
L’affaire du prêtre Preynat, accusé de pédophilie, et de l’impunité dont il a bénéficié de la part des autorités catholiques, met le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon et primat des Gaules, dans la tourmente. Le point sur les faits.
Le cardinal de Lyon, Mgr Philippe Barbarin, lors de la Fête des lumières, à Lyon, en 2015. | JEFF PACHOUD / AFP
1. Que s’est-il passé ?
Il n’y a pas une mais plusieurs affaires.
L’affaire Bernard Preynat. De 1971 à 1991, Bernard Preynat encadre, en tant que prêtre, le groupe de scouts de Saint-Luc (GSL), à Sainte-Foy-lès-Lyon, ville prospère jouxtant la capitale des Gaules. En juin 2015, une ancienne victime présumée du prêtre écrit au procureur de la République pour dénoncer des actes de pédophilie commis par ce dernier, contre lui.
Le 23 octobre 2015, le diocèse de Lyon publie un communiqué annonçant que « plusieurs personnes » ont porté plainte contre le père Preynat pour des « faits antérieurs à 1991 ». Il assure : « Aujourd’hui, ce prêtre n’a plus aucune responsabilité pastorale, et tout contact avec les mineurs lui a été interdit. » Ce qu’il ne dit pas, c’est qu’après une courte quarantaine le père Bernard, a, jusqu’au 31 août 2015, animé la vie de trois paroisses : celle de Neulise, dans la Loire, puis de Cours-la-Ville et du Coteau, autour de Roanne. Dans tous ces villages, il a côtoyé des enfants.
Il est mis en examen depuis la fin de janvier pour « agressions sexuelles sur mineurs de 15 ans par personne ayant autorité » pour des faits commis entre 1986 et 1991, et témoin assisté pour des faits de viol qui pourraient être prescrits. Au juge qui l’interroge, le père Bernard dit avoir informé ses supérieurs de son penchant sexuel dès ses années de séminaire.
La mise en examen du prêtre est rendue possible du fait que l’homme qui a déposé la plainte contre lui est âgé de moins de 38 ans. De ce fait, les faits qu’il reproche au Père Bernard ne sont pas prescrit : la prescription des faits est en effet de vingt ans après la majorité de la victime, dans le cas d’agressions sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans.
L’affaire « Pierre ». Le diocèse de Lyon avait déjà communiqué, l’année précédente, pour déplorer les agissements d’un autre prêtre, mis en examen pour corruption et atteinte sexuelle sur mineur, et soupçonné d’avoir eu une relation sexuelle avec un adolescent fugueur de 14 ans. L’affaire se soldera par un non-lieu, le procureur estimant que l’adolescent avait menti sur son âge et que le prêtre avait sincèrement cru avoir des relations avec un homme majeur.
Suspendu de ses fonctions, le prêtre est remplacé à l’automne 2015 par un autre religieux à la tête de l’église de l’Immaculée-Conception. Mais celui-ci est à son tour mis en cause, lundi 14 mars, par « Pierre », un homme âgé de 42 ans, haut fonctionnaire en poste au ministère de l’intérieur », qui témoigne dans un article du Figaro – puis au Monde –, dans lequel il dit avoir été victime d’attouchements dudit prêtre lorsqu’il avait 16 ans. Là encore, sa plainte, déposée en 2009, mais a été classée car les faits étaient anciens, et donc prescrits.
Ce sont donc deux cas anciens, de pédophilie reconnue par l’auteur, mais potentiellement prescrite, qui touchent le diocèse.
2. Combien de victimes y a-t-il ?
C’est impossible à déterminer. Pour La Parole libre, l’association d’aide aux anciens du GSL victimes de pédophilie fondée fin 2015 pour recueillir des témoignages à l’appui de l’enquête en cours – il y aurait une cinquantaine, voire une soixantaine de cas durant les vingt ans où le père Preynat s’occupait de groupes de scouts. De son côté La Tribune de Lyon mentionne dans un article d’octobre 2015 le témoignage d’une victime, abusée sexuellement à 12 ans, qui parle d’une « vingtaine de gamins [qui] y sont passés ».
Autant de chiffres qui ne peuvent être attestés, s’appuyant sur des témoignages anonymes ou non portés à la connaissance de la justice...
La Parole libérée a bien publié plusieurs lettres envoyées par le père Preynat à des familles de victime en 1991, après que celles-ci ont alerté le diocèse à son sujet. « Je n’ai jamais nié les faits qui me sont reprochés. Ils sont pour moi aussi une blessure dans mon cœur de prêtre », écrit Bernard Preynat, tout en minimisant :
« Comment pourrais-je quitter la paroisse du jour au lendemain comme un voleur après vingt ans de présence où je n’ai tout de même pas fait que du mal ? Sans avoir même le temps de dire au revoir, de ranger mes affaires, de déménager, sans nouveau poste durable. En me voyant partir ainsi, que vont penser les gens du quartier, ma famille, mes amis ? Ils ne tarderont pas à connaître la raison, la rumeur va se répandre partout et comment pourrais-je alors retrouver un ministère : je serai complètement coulé ! »
3. Pourquoi le cardinal Barbarin est-il violemment critiqué ?
Des membres de l’association La Parole Libérée ont porté plainte directement contre le cardinal Barbarin et d’autres responsables de l’église lyonnaise, pour « non-dénonciation d’atteintes sexuelles infligées à des mineurs de 15 ans ». Une enquête préliminaire a été ouverte à la fin de février par le parquet de Lyon.
En cause : l’attitude du diocèse de Lyon qui est critiquée. Car, alors que Bernard Preynat avait reconnu les faits dès 1991, les autorités ecclésiastiques l’ont maintenu en poste durant des années, se contentant de le changer de paroisse, mais le laissant de fait au contact d’enfants jusqu’à ce qu’un nouveau scandale éclate.
En poste depuis 2002 comme archevêque de Lyon et primat des Gaules, le cardinal Barbarin a admis, dans La Croix, avoir été mis au courant des agissements du père Preynat « vers 2007-2008 », à la suite d’un témoignage. Il explique avoir demandé des explications au prêtre et l’avoir cru quand ce dernier a dit avoir cessé depuis.
« J’ai alors pris rendez-vous avec lui pour lui demander si, depuis 1991, il s’était passé la moindre chose. Lui m’a alors assuré : “Absolument rien, j’ai été complètement ébouillanté par cette affaire.” (…) Certains me reprochent de l’avoir cru… Oui, je l’ai cru. »
Il ajoute que le père Preynat avait reçu la confiance du cardinal Decourtray, primat des Gaules dans les années 1990, qui l’avait rétabli dans son ministère après six mois de suspension.
Une fois averti de la nouvelle affaire, en 2014, Mgr Barbarin explique avoir sollicité l’avis du Vatican, qui lui aurait demandé d’écarter le prêtre :
« J’ai écrit à Rome, qui m’a conseillé de le suspendre de ses fonctions malgré les vingt-quatre années écoulées depuis les faits. Ce que j’ai fait. »
Ce sera chose faite le 31 août 2015. Le mois précédent, la presse locale évoquait le départ du père Preynat pour « le Sedif, le service diocésain de la formation. C’est ici que sont formés des laïcs pour devenir catéchistes, ou encore animateurs en paroisse et dans les hôpitaux ».
Le premier ministre, Manuel Valls, a appelé mardi 15 mars Mgr Barbarin à « prendre ses responsabilités » dans cette affaire.
4. Que répondent les autorités catholiques ?
Le diocèse de Lyon s’est adjoint les services d’un expert en communication : Guillaume Didier, ancien magistrat, porte-parole du ministère de la justice (de 2007 à 2010), et désormais spécialiste en gestion de crise.
Le cardinal Barbarin a donc rejeté en bloc les accusations de laisser-faire, estimant qu’il a agi dès qu’il a été mis au courant des faits, en éloignant (discrètement, comme on l’a vu) le prêtre fautif. « Je veux dire avec la plus grande force que jamais, jamais, jamais je n’ai couvert le moindre acte de pédophilie », s’est défendu le primat des Gaules mardi 15 mars, lors d’une conférence de presse à Lourdes.
« C’est arrivé en 2006 et en 2014 [le cas signalé par « Pierre » ]. La police peut en être témoin, ils m’ont rendu justice à ce sujet. Le dimanche suivant, le prêtre n’avait plus le droit de célébrer la messe dans sa paroisse. A aucun des deux je n’ai redonné de ministère », a-t-il assuré.
Le cardinal Barbarin assure donc n’avoir eu aucune preuve, et avoir cru son prêtre lorsqu’il lui a dit avoir cessé ses agissements. Une défense quelque peu mise à mal par la dernière victime, le fameux « Pierre », qui dénonce des abus commis contre lui par un autre prêtre.
La défense du cardinal Barbarin insiste dans ce cas sur l’âge de la victime présumée au moment des faits (16 ans), et assure :
« Ce sont des points très troubles de la vie d’un prêtre, mais qui n’ont rien à voir avec de la pédophilie. »
Mgr Barbarin a également eu une formule maladroite et très critiquée, en expliquant, à propos du père Preynat :
« La majorité des faits, grâce à Dieu, sont prescrits, mais certains peut-être pas. »
Une phrase dont il a lui-même reconnu la maladresse. Il expliquant en outre : « Il ne faut pas nous en tenir à une prescription juridique ou au fait qu’il n’y ait pas de plaintes. Manifestement, cela ne suffit pas, il y a quelque chose que nous devons changer. »
Mgr Barbarin aurait promu un prêtre condamné pour agressions sexuelles
Selon les informations du Parisien, un prêtre condamné pour agressions sexuelles aurait été promu doyen (chargé de plusieurs paroisses) en 2013 par Mgr Barbarin.
L’homme, qui exerçait auparavant à Rodez, dans l’Aveyron, avait été condamné en 2007 à dix-huit mois de prison avec sursis, pour des agressions sexuelles commises sur des étudiants (majeurs) dans un foyer dont il avait la charge. Il était arrivé dans la région lyonnaise l’année suivante, en 2008.
L’entourage du cardinal a refusé de préciser au Parisien si ce dernier était au courant du passé judiciaire du prêtre au moment de sa promotion. La nomination d’un doyen requiert normalement l’instruction d’un dossier sur le prêtre choisi. En revanche, selon les informations du Monde, le juge d’application des peines n’avait pas émis d’avis défavorable au fait que le prêtre soit nommé en paroisse.
« Pour nous, il s’agit de l’histoire d’un homme qui a été coupable de faits qui ont été jugés », a réagi mercredi le porte-parole des évêques de France, Mgr Olivier Ribadeau Dumas, soulignant que le prêtre « a aujourd’hui des responsabilités de formation dans le diocèse de Lyon » et n’est « pas en contact avec des jeunes, ce sur quoi le diocèse de Lyon a toujours veillé ».