Un Australien prétend être l’inventeur du bitcoin
Un Australien prétend être l’inventeur du bitcoin
Par Martin Untersinger
Craig Wright a apporté des preuves qui accréditent sérieusement l’idée qu’il soit le génial créateur de la monnaie électronique, mais des questions demeurent.
Le docteur Craig Wright dit avoir inventé le bitcoin. | Domaine public
Vient-on d’assister à l’épilogue de la grande quête de l’identité du mystérieux inventeur du bitcoin ? Lundi 2 mai, Craig Wright, un informaticien, entrepreneur et inventeur australien, a affirmé être l’homme derrière le pseudonyme Satoshi Nakamoto. C’est sous cette (fausse) identité qu’a été créée la monnaie électronique en 2008 : depuis, malgré les dizaines d’enquêteurs plus ou moins amateurs lancés à ses trousses, ce génial précurseur est resté terré dans l’ombre.
Craig Wright, 45 ans, a fourni à trois médias, The Economist, la BBC et GQ, des preuves qui, sans être irréfutables, accréditent sérieusement l’idée qu’il ne fasse qu’un avec M. Nakamoto. La première de ces preuves est cryptographique, et intimement liée au fonctionnement du bitcoin : toutes les transactions opérant sur le réseau doivent être consignées et partagées par tous, pour s’assurer qu’un même bitcoin n’est pas dépensé deux fois, ou que le titulaire d’un « compte » dispose bien des bitcoins qu’il s’apprête à verser.
Une preuve cryptographique
Ce registre des transactions (la « blockchain ») est consignée dans des « blocs » calculés par tous les ordinateurs du réseau. A chaque création de bloc correspond une « récompense » en bitcoins. Etant le premier arrivé sur le réseau, Satoshi Nakamoto a créé (« miné », dans le jargon) les premiers blocs. Or, Craig Wright, sur son blog, a pu prouver qu’il était en possession de l’adresse bitcoin ayant obtenu les bitcoins associés au « minage » du neuvième bloc, l’un des premiers jamais créés.
En théorie, s’il est bien M. Nakamoto, M. Wright devrait pouvoir faire de même pour les huit premiers blocs. Mais s’il a effectué la démarche technique devant les journalistes de The Economist, ces derniers expliquent ne pas être en mesure de prouver qu’il ne s’agit pas d’une manipulation. Et M. Wright estime inutile de publier les preuves de sa démonstration pour les autres premiers blocs.
Craig Wright avait déjà été présenté comme le créateur probable du bitcoin dans de longues enquêtes publiées en décembre par deux sites, Wired et Gizmodo. Mais certains éléments étaient venus jeter le doute, à l’époque, sur cette information, et notamment sur les compétences de M. Wright. Des compétences nécessaires pour créer un système aussi complexe et performant que le bitcoin.
De nombreux éléments présents sur le profil LinkedIn de M. Wright étaient, notamment, complètement faux. Ce dernier a fourni aujourd’hui aux journalistes de The Economist de quoi authentifier la quasi-totalité de son parcours universitaire. Mais, là encore, il ne parvient pas à dissiper tous les doutes : certains points de son curriculum vitae n’ont pas pu être confirmés.
Par ailleurs, M. Wright a fourni à The Economist de nombreux textes techniques, y compris certains qui ne sont pas encore publiés. Et l’hebdomadaire britannique n’est pas tout à fait convaincu : son style et sa connaissance du sujet ne correspondent pas tout à fait au style élégant et à la très grande érudition de M. Nakamoto.
Des questions demeurent
Craig Wright assure ne pas chercher la célébrité et dit révéler son identité pour mettre fin à la spéculation. « Je ne veux pas être le visage de quoi que ce soit », explique-t-il paradoxalement, assurant qu’il aurait préféré ne pas révéler son identité. « Je veux travailler, je veux continuer à faire ce que je veux. […] Je veux qu’on me laisse tranquille. »
« Notre conclusion, écrit The Economist dans sa longue analyse des preuves fournies par l’Australien, est que M. Wright pourrait bien être M. Nakamoto, mais que d’importantes questions demeurent. En effet, il pourrait ne jamais être possible de déterminer au-delà de tout doute raisonnable qui a réellement créé le bitcoin. »
Pourtant, certains sont convaincus. Gavin Andresen, par exemple, un des développeurs de la première heure du bitcoin. « Après avoir passé du temps avec lui, écrit-il sur son blog, je suis convaincu au-delà de tout doute raisonnable : Craig Wright est Satoshi. Pendant notre rencontre, j’ai vu la personne brillante, convaincue, concentrée, généreuse et discrète qui correspond au Satoshi avec qui j’ai travaillé il y a six ans ».
En réalité, l’identité du créateur du bitcoin importe peu. Certes, sa voix pourra porter dans le grand débat qui agite actuellement la communauté de ses développeurs et oppose ceux qui veulent apporter des modifications dans sa technologie pour lui permettre de croître plus rapidement et ceux qui défendent une forme de statu quo. M. Wright s’est déjà prononcé en faveur du premier camp.
Mais au fond, bitcoin est plus grand que son simple fondateur : la monnaie électronique a prouvé sa pérennité en survivant à une brusque chute de son cours fin 2013 – qui repart nettement à la hausse depuis début 2015 –, et son mode de fonctionnement (sa « blockchain ») pourrait déboucher sur des applications bien au-delà de la simple monnaie électronique.