Un quartier résidentiel de Fort McMurray (Alberta, Canada) détruit par l’incendie, le 7 mai 2016. | Scott Olson/AFP

« Quand l’ordre d’évacuation totale de Fort McMurray (province d’Alberta) est venu, il était 17 heures. L’incendie de forêt avait démarré il y a quelques jours, le 1er mai, ravageant tout sur son passage. J’étais au bureau central de NorthStar Ford, la compagnie de vente et réparation de voitures, camions et camionnettes que j’ai créée avec mon mari, Marty, il y a vingt ans. Lui était dans une autre succursale au nord de la ville. Nous sommes partis chacun de notre côté, lui évacué vers le nord, moi vers un camp au sud. Il s’est arrêté avec son équipe à notre succursale de Fort McKay, à 63 kilomètres au nord. Moi, j’ai d’abord filé à la maison, à Saprae Creek, à 60 km au sud de Fort McMurray.

J’ai eu dix minutes sur place. J’ai pris des documents importants : passeports, cartes d’assurance-maladie, déclarations d’impôt, quelques vêtements, les albums de photos de mes enfants petits. Celles du temps où on n’avait pas de portable… Plus la guitare à laquelle mon mari tient tant. C’est tout. Après, je me suis rendu compte que j’avais oublié les photos de notre mariage et mon alliance. Et des sous-vêtements. Ça me manque ! Maintenant, je pense à tous ces souvenirs rapportés de nos voyages qui sont partis en fumée. Et je m’en veux de ne pas avoir pris une œuvre d’art accrochée au mur, qui venait de ma belle-mère, morte l’an passé.

Une atmosphère de fin du monde

J’ai pris la route, seule dans mon auto. Là, j’ai vraiment eu la peur de ma vie. Il y avait beaucoup de fumée et des flammes partout dans la forêt, proche de la route. Le trafic était lent, intense. Tout le monde essayait de rejoindre l’autoroute. Il m’a fallu une heure trente dans cette atmosphère de fin du monde, au lieu de quinze minutes d’habitude. Ensuite, nous avons roulé plein sud, en convoi, pour sortir de la zone où le feu faisait rage. Je n’étais plus inquiète pour moi mais pour mon mari, mes cousins, nos amis, nos employés…

Des habitants de Fort McMurray ont dû abandonner leur véhicule lors de l’évacuation de la ville. | Jonathan Hayward/AP

Le lendemain matin, à 5 h 30, il y a eu un convoi routier – le seul de la semaine – organisé pour ramener des gens réfugiés au nord vers le sud par l’autoroute 63, en traversant Fort McMurray. Marty est parti avec eux. Nous nous sommes retrouvés après vingt-quatre heures à Lac La Biche. C’est là que nous habitons depuis, dans une vieille « cabine » au bord du lac où nous allions de temps en temps. Il n’y a que deux chambres et, les premiers jours, nous y étions dix-sept, avec mon fils Matt, mes cousins et des employés de la banque alimentaire de Fort McMurray dont je m’occupe !

Maintenant, plusieurs ont pu emménager dans une cabine voisine et d’autres dans des camping-cars qu’on leur a prêtés. Mes deux enfants sont venus nous rejoindre. Matt a 19 ans. Dès qu’il a su que nous étions ici, il est venu de l’Oregon où il étudie l’économie. Austin, mon aîné, est, lui aussi, à l’université, en Californie. Il est arrivé hier. Cela fait du bien d’être ensemble.

Le camp de réfugiés de Wandering River, le 9 mai 2016. | Mark Blinch/AP

Depuis mon arrivée à Lac La Biche, je n’ai pas eu une minute à moi. Pas le temps de trop penser à ce qui est arrivé. Je suis passée de sinistrée à bénévole ! Avec plusieurs autres, dont un résident de Wandering River (Alberta), j’ai organisé un transport d’urgence, par route, puis en hélicoptère, pour des pompiers isolés au nord de Fort McMurray. Ils manquaient de barres et de boissons énergétiques, de médicaments, de serviettes humides pour se laver. J’étais tellement contente de les aider. On leur doit bien ça : ils font un travail extraordinaire et ont quasiment sauvé notre ville.

Il ne reste plus rien, ni du quartier, ni de notre maison

Mon mari et moi nous sommes aussi mis en action, à distance, pour organiser une collecte de dons au sud de l’Alberta et le transport routier pour les acheminer vers les centres qui accueillent des évacués, disséminés dans la province mais surtout au nord, dans les villages les plus proches de Fort McMurray. Il y avait toutes sortes de produits de première nécessité, pour la toilette par exemple, mais aussi des bouteilles d’eau, des denrées non périssables, du linge… De Lac La Biche, à partir de nos portables, nous avons dirigé les opérations pendant une semaine, avec neuf gros camions pleins à craquer partis de nos deux succursales de Calgary et Cochrane, à Alberta. Le 12 mai, les secours étant mieux organisés par les autorités, nous avons tout arrêté. Ce n’était plus la peine.

Il est temps de penser à nos 210 employés de Fort McMurray et à leurs familles. Pour les aider dans leurs démarches administratives, remplir des déclarations d’assurance, leur offrir du travail dans nos succursales de Calgary et Cochrane, avant de pouvoir rentrer à Fort McMurray. J’y suis prête. C’est chez moi et il y a tant de travail qui nous attend. Ce n’est pas demain la veille que nous allons recommencer à vendre des autos ou des camions, mais les équipes de secours ont besoin de nous et bien des véhicules endommagés sont peut-être réparables. Nous devons être là pour commander des pièces, faire les réparations. C’est important, plus que ma maison, et autant que de redonner rapidement du travail à nos employés.

Les évacués de Fort McMurray recevant des dons à Lac la Biche, dans l’ Alberta, le 7 mai 2016. | Chris Wattie/Reuters

Six jours après l’évacuation, quelqu’un est venu nous montrer des photos de notre quartier, de notre maison. Il n’en reste plus rien. Tout est à terre, entièrement calciné. J’ai regardé les photos. J’étais très triste mais je dois dire que je suis contente de les avoir vues. Ça fait partie du deuil. Je me sens mieux préparée mentalement à retourner sur les lieux. Je peux aller de l’avant. Je me sens bien, sereine, malgré tout.

Nous avions fait construire en 2000 cette maison magnifique, toute en bois, avec trois chambres, trois salles de bains, une bibliothèque, une pièce pour la musique, avec un magnifique piano. Elle était au milieu de la forêt, dans un joli quartier, avec un grand jardin et un endroit où faire des feux de camp. C’était idyllique. Plus maintenant, mais tout ce qui a été détruit peut être reconstruit et j’espère bien qu’on pourra le faire au même endroit. Voilà mon souhait le plus cher.

Je me dis que tout le monde est sain et sauf. Un vrai miracle ! C’est l’essentiel. Quatre-vingt-dix pour cent de la ville est debout. Nous trouverons bien une place où nous installer et, sinon, je vivrai dans un camping-car. Le temps qu’il faudra. Ça ne me dérange pas. »