La participation ne va pas toujours de soi
La participation ne va pas toujours de soi
Par Margherita Nasi
Le spécialiste en sciences sociales Julien Charles analyse les intentions démocratiques et les dynamiques d’exclusion propres aux mouvements participatifs.
« La participation en actes. Entreprise, ville, association », de Julien Charles (Desclée de Brouwer, 168 pages, 16,90 euros).
Les politiques publiques contemporaines mettent en place des dispositifs de participation citoyenne. L’organisation du travail veut se renouveler par un management participatif. L’institution scolaire souhaite impliquer activement parents et élèves. Quant au web 2.0, il constitue quant à lui le terreau d’un nouveau « prendre part ». C’est dire à quel point la participation est devenue aujourd’hui un impératif, inscrit au cœur même de l’idéal démocratique.
Les analyses contemporaines de la participation abondent, et elles partagent souvent l’engouement des promoteurs et animateurs de ces dispositifs. Pourtant, il existe une autre facette de la participation : son caractère éprouvant, la charge d’exigences qui pèsent sur les personnes désireuses ou enjointes de participer. « La participation serait-elle trop chargée de malentendus historiques et idéologiques pour que l’on parvienne à en évaluer les bienfaits autant que les impasses ? », se demande Julien Charles, docteur en sciences sociales. L’auteur de La participation en actes articule deux lectures de la participation : il en reconnaît les intentions démocratiques, « tout en déployant une vigilance particulière à l’égard de ses dynamiques d’exclusion ».
Modalités d’engagement
Aujourd’hui, l’idée de participation indique généralement « une ouverture heureuse aux voix de chacun », rappelle le chargé de recherche et de formation au Centre socialiste d’éducation permanente (CESEP) qui invite pourtant le lecteur à prendre de la distance avec « le mythe d’une participation sans condition » : la participation ne va pas de soi.
En favorisant telle ou telle modalité d’engagement, chaque projet participatif impose aux personnes qui y prennent part de s’y conformer, et leur demande de se plier à des exigences qui ne leur permettent pas nécessairement de s’exprimer sur le mode qui leur convient le mieux. « Elles doivent plutôt transformer leurs façons de communiquer ce qui leur tient à cœur pour les ajuster aux contraintes du dispositif en question. Mais parfois, à force d’adaptations, ce qui vaut pour la personne est complètement perdu ».
Cette dimension contraignante, et parfois invasive, apparaît clairement dans l’observation des situations concrètes. C’est pourquoi d’après l’auteur, les réflexions sur la participation ne peuvent se limiter à la démocratie participative ou la participation citoyenne.
Dans son ouvrage, il réalise quatre enquêtes dans des domaines différents, allant du management participatif d’inspiration toyotiste jusqu’à l’autogestion héritée du courant anarcho-communiste. « Toutes les expériences discutées ici se qualifient de participatives et prétendent faire place à l’expression personnelle de chacun ».
Les exigeantes conditions de mise en forme inhérentes à la participation, abordées dans le premier chapitre, sont illustrées à partir de l’analyse du management participatif dans une usine du groupe Caterpillar, mais aussi dans le cadre d’un projet de rénovation urbaine.
Les situations particulières
Le deuxième chapitre se penche sur le cas d’une institution médicale autogérée, en abordant frontalement les charges que la participation fait peser sur les personnes. « Les attentes de ces projets sont en effet très lourdes à porter lorsque les participants n’y sont pas préparés ». Enfin, la dernière enquête se penche sur un atelier de réparation de vélos.
Au fil des pages, il s’agit de saisir les contrastes entre ces différents projets et en même temps de rendre compte des attentes communes qui pèsent sur les participants engagés. « Par effet de contraste, des traits importants apparaissent. Des dimensions largement méconnues des travaux contemporains sur la participation peuvent ainsi être mises en débat ».
Si le livre accorde beaucoup de place aux comptes rendus de situations particulières, c’est aussi parce que c’est à ce niveau que sont possibles « la reprise d’initiative et la résistance à ce qui apparaîtra rapidement comme un dévoiement protéiforme de l’idéal démocratique ».
Comme l’explique l’économiste et sociologue Laurent Thévenot dans sa préface au livre, c’est là que le rapprochement apparemment incongru entre des modes de participation disparates porte ses fruits.
C’est même une question fondamentale pour notre vie ensemble que l’ouvrage éclaire d’un jour nouveau : « À quelles conditions et à quel prix pouvons-nous faire part et prendre part en exprimant ce qui nous importe et nous affecte, dans le mouvement des communautés auxquelles nous avons part ? »
La participation en actes. Entreprise, ville, association, de Julien Charles (Desclée de Brouwer, 168 pages, 16,90 euros).