Salaires des dirigeants : le Medef durcit sa position
Salaires des dirigeants : le Medef durcit sa position
LE MONDE ECONOMIE
En cas d’opposition des actionnaires, le conseil d’administration devra impérativement en tenir compte.
Séverin Millet
L’emballement politique et médiatique des derniers jours sur la rémunération des dirigeants a obligé le patronat à sortir du bois. « Nous avons décidé que le vote [sur la rémunération des patrons] doit être impératif » ont indiqué, vendredi 20 mai, Pierre Gattaz, le président du Medef, et Pierre Pringuet, à la tête de l’Association française des entreprises privées (AFEP). « Le conseil d’administration doit impérativement tenir compte du vote » des actionnaires en matière de salaire des patrons s’il est « négatif », et « motiver ses décisions », ont indiqué les deux dirigeants.
Autrement dit, a expliqué M. Pringuet, « c’est ensuite au conseil d’administration de faire une proposition en cas de vote négatif ». « Il n’est pas envisageable qu’il y ait un divorce durable entre le conseil d’administration et l’assemblée générale d’une entreprise », a-t-il ajouté. Une manière pour le patronat de donner des gages aux pouvoirs publics et à l’opinion. Reste à savoir si cela suffira à apaiser la pression : le code Afep-Medef n’a pas force de loi et les entreprises qui s’y réfèrent le font librement.
La polémique enfle depuis qu’a éclaté l’« affaire Ghosn ». Le 29 avril, le conseil d’administration de Renault avait décidé de maintenir les émoluments de son PDG, Carlos Ghosn – plus de 7,2 millions d’euros – malgré le vote consultatif des actionnaires, qui avaient à 54 % émis un avis négatif. Mardi 17 mai, sur Europe 1, François Hollande a appelé les autorités du patronat à faire preuve d’« exigence morale » et indiqué que, « si rien ne se fait du côté patronal », ce serait « à la loi d’intervenir ». « La première décision qui sera prise, (…) c’est que toutes les décisions des assemblées générales seront immédiatement exécutoires », a précisé le chef de l’Etat.
« Nous avons fait le choix dans un premier temps de mettre les entreprises face à leurs responsabilités. Force est de constater que cela n’a pas été respecté. Donc, maintenant, il faut légiférer »
Jeudi 19, Manuel Valls, interrogé sur RTL, s’est fait encore plus pressant. « Nous avons fait le choix dans un premier temps de mettre les entreprises face à leurs responsabilités, a expliqué le premier ministre. Force est de constater que cela n’a pas été respecté. Donc, maintenant, il faut légiférer. » Le véhicule législatif est d’ores et déjà trouvé. Le rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale sur le projet de loi sur la transparence économique, Sébastien Denaja (PS, Hérault), s’apprête à déposer, lors de l’examen du texte en commission, le 25 mai, un amendement visant à rendre exécutoires les décisions des actionnaires.
« Le gouvernement avait proposé [en 2012] un encadrement, jugé inconstitutionnel a rappelé jeudi, le ministre des finances, Michel Sapin, en déplacement au Japon. Puisque l’encadrement n’est pas possible, puisque l’autorégulation ne permet pas d’éviter un certain nombre de situations anormales, il convient de légiférer sur les méthodes de fixation. » L’amendement Denaja a ainsi été élaboré « en toute intelligence » avec le 6e étage de Bercy.
Le locataire du 3e étage, Emmanuel Macron, se montre, lui, moins allant. Le ministre de l’économie, en tout état de cause, s’oppose à un encadrement des rémunérations. « Je pense que c’est un mauvais sujet pour la loi, a-t-il déclaré jeudi. Je ne pense pas que le législateur, dans un seul pays, puisse dans un monde ouvert considérer qu’il y a un plafond de rémunération. » Il répondait ainsi à la tribune parue le matin même dans Libération et signée par quarante personnalités, dont le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, demandant au gouvernement de « légiférer pour qu’un patron ne perçoive pas plus de 100 smic ».
« Le principe, c’est confiance à l’autorégulation »
M. Macron continue cependant à plaider pour l’« autorégulation » des entreprises en matière de rémunération. « Le pari qui est le nôtre, c’est de savoir si on veut dans notre pays tout régenter par la loi ou si on croit dans ce qu’on appelle l’autorégulation, c’est-à-dire la responsabilité de celles et ceux qui en ont, a-t-il développé. C’est au monde économique de montrer qu’il est à la hauteur. » Jeudi, joint par Le Monde, l’entourage du ministre de l’économie disait attendre la réaction du patronat pour se prononcer sur une éventuelle modification législative des méthodes de gouvernance. « Le principe, c’est confiance à l’autorégulation, précisait-on. C’est à la lumière de cette réaction que nous prendrons position. » L’annonce de l’AFEP et du Medef de ce vendredi semble calibrée pour répondre à cette attente.
Depuis 2012, sous l’impulsion de M. Hollande, les salaires des patrons des entreprises publiques ou majoritairement détenues par l’Etat (EDF, La Poste, SNCF…) sont plafonnés à 450 000 euros par an. Mais l’autorégulation reste de mise dans le privé, même si la menace d’une loi est régulièrement agitée. Une pression qui permet régulièrement de faire évoluer le « code de bonne conduite », dit code AFEP-Medef qui fixe les règles de gouvernance des entreprises. Il n’avait jusqu’à présent aucun pouvoir coercitif, seulement doté d’un « haut comité de gouvernement d’entreprise » (HCGE), chargé de rappeler à l’ordre les entreprises, le cas échéant.
Présidé par Denis Ranque, à la tête du conseil d’administration d’Airbus Group (ex-EADS), le HCGE a toutefois durci son attitude depuis l’affaire Ghosn. « L’esprit du code […] et les principes de la démocratie actionnariale imposent que le conseil d’administration, après consultation des principaux actionnaires pour mieux comprendre leurs attentes, décide d’introduire des évolutions significatives du mode de rémunération » de M. Ghosn, a indiqué le HCGE jeudi, deux semaines après s’être saisi du dossier. Il n’a toutefois pas précisé quelles « recommandations » il avait formulées à l’intention du constructeur. Chez Renault, jeudi, on se refusait à tout commentaire.
Evolution des relations actionnaires-dirigeants
L’affaire Renault est symbolique d’une évolution des relations actionnaires-dirigeants. « Il ne fallait pas être grand clerc pour savoir qu’[un vote d’actionnaire contre la rémunération d’un dirigeant] finirait par arriver » souligne-t-on dans un des états-majors du CAC 40. Au-delà de l’opposition de l’Etat (actionnaire à 19,74 % de Renault), c’est la prise de position de l’agence de conseil de vote américaine ISS qui a fait pencher la balance en défaveur de M. Ghosn : pour la première fois cette année, elle a conseillé à ses grands clients, assureurs, fonds de pension ou gérants, de voter contre la rémunération du dirigeant.
Mercredi 18, le PDG de Total, Patrick Pouyanné, avait appelé les dirigeants à faire preuve de « bon sens » en acceptant l’avis de leurs actionnaires sur leur salaire. « Pour moi, que ce soit consultatif ou pas consultatif, une assemblée générale se prononce, on doit l’écouter. […] Si l’assemblée générale de Total disait non aux éléments que le conseil d’administration propose pour Patrick Pouyanné, je demanderais au conseil d’administration de les réviser », a-t-il expliqué devant la commission des affaires économique du Sénat. Il s’est en revanche dit opposé à une loi sur le sujet, qui ferait planer une menace que « les sièges [sociaux] des entreprises quitte[nt] la France ». Le sujet est loin d’être clos : une directive européenne envisage de rendre le « say on pay » contraignant à l’horizon 2018 au sein de l’Union européenne.