« Brexit » : l’Europe centrale perd un allié
« Brexit » : l’Europe centrale perd un allié
Par Blaise Gauquelin (Vienne, correspondant), Jakub Iwaniuk (Varsovie, correspondance)
Le départ du Royaume-Uni va renforcer les divisions déjà existantes au sein des pays du groupe de Visegrad.
La chef de gouvernement polonais, Beata Szydlo, et le premier ministre britannique, David Cameron, le 6 février, à Varsovie. | Janek Skarzynski/AFP
« Pas la fin du monde », pour Bohuslav Sobotka, le premier ministre tchèque. Tout sauf une « tragédie », selon son homologue slovaque, Robert Fico : ces deux personnalités sociales-démocrates d’Europe centrale se sont évertuées, vendredi 24 juin, à minimiser les conséquences du « Brexit » pour l’Europe. Or ce dernier va bel et bien restreindre l’influence des pays de l’Est à Bruxelles.
Pour peser sur les décisions, la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie sont certes réunies au sein du groupe de Visegrad. Mais « le “Brexit” va aggraver leurs divisions, prédit Martin Michelot, du think tank Europeum. Car Londres était le principal allié de Varsovie et de Budapest, alors que Prague et Bratislava ont une relation privilégiée avec l’Allemagne. »
Depuis l’arrivée au pouvoir des souverainistes du PiS (Droit et Justice), en octobre 2015, la Pologne avait marqué un changement de doctrine dans sa politique étrangère. Un partenariat privilégié avec les Britanniques devait, de son point de vue, faire contrepoids aux initiatives intégrationnistes du couple franco-allemand. Le « Brexit » marque la fin de cette ambition.
La centralité du lien transatlantique, l’attachement au libre-échange et à l’Otan marginalisent encore un peu plus des pays qui n’ont, de surcroît, pas vocation à intégrer rapidement la zone euro. Seule la Slovaquie en est membre. Le fait qu’elle siège à l’Eurogroupe lui confère désormais une position d’interlocutrice privilégiée.
Masquer les divergences
D’autant plus que le gouvernement slovaque va assurer, à partir du 1er juillet, la présidence de l’Union européenne, une « responsabilité énorme » vu le contexte selon Robert Fico, qui souhaite rapidement tenir des discussions informelles avec les différents chefs de gouvernement.
La Slovaquie est dans la zone euro. Un renforcement de la gouvernance du club des pays ayant adopté la monnaie unique serait vu d’un très mauvais œil par la Pologne et la Hongrie voisine. « Si le “Brexit” aboutit à une pause dans le forcing du modèle d’intégration franco-allemand, alors l’UE survivra, prévient déjà le ministre polonais des affaires étrangères, Witold Waszczykowski. Mais si la zone euro s’intègre de force, avec de nouvelles institutions (…), alors cela peut se terminer en catastrophe. »
Pour masquer leurs divergences, les dirigeants de la région ont une nouvelle fois mis l’accent sur le grand sujet européen pour lequel ils ont adopté une position commune : la crise des migrants. Opposées aux quotas de répartition des réfugiés, la Slovaquie comme la Hongrie veulent surtout voir dans le « Brexit » une réaction à la gestion de l’afflux des exilés, jugée catastrophique.
Peser face à l’axe Paris-Berlin
« Bruxelles doit entendre la voix du peuple », a commenté le premier ministre hongrois Viktor Orban. Mais aucun gouvernement d’Europe centrale n’entend se lancer dans une consultation populaire sur une éventuelle sortie de l’UE. Les Européens de l’Est, conscients des aides qu’ils reçoivent pour se mettre à niveau, restent très europhiles. Selon un récent sondage, 62,1 % des Slovaques pensent, par exemple, qu’imiter les Britanniques serait une mauvaise chose, ce qui n’empêche pas le gouverneur néonazi de la région de Banska Bystrica, Marian Kotleba, de réclamer un référendum.
Les Polonais souhaitent plutôt proposer des réformes des institutions, afin de tenter de peser face à Paris et à Berlin. « La tentation de construire l’UE sur la base de petits clubs ou groupes de pays est un mauvais chemin, a souligné la chef du gouvernement, Beata Szydlo. L’Europe a besoin de calme, de raison et d’approche pragmatique envers ce qui s’est passé aujourd’hui. »
Mme Szydlo s’est aussi dite prête à « défendre les privilèges » des 850 000 travailleurs polonais présents au Royaume-Uni, alors que Varsovie, Budapest, Prague et Bratislava redoutent la mise en place par Londres d’un nouveau statut de résident étranger à deux vitesses, privilégiant des ressortissants des « anciens » pays membres d’Europe de l’Ouest.
Le président du PiS, Jaroslaw Kaczynski, a lui aussi souligné la « nécessaire réforme » des institutions européennes après la sortie britannique, qui ne doit pas passer selon lui par « plus d’Europe ». Il a appelé à clarifier les compétences respectives des États membres et des institutions européennes. Pour lui, la conclusion est évidente : « Un nouveau traité européen est indispensable. » Ni « tragédie » ni « fin du monde », le « Brexit » est en tout cas une réalité dont la région se serait volontiers passée.