Les députés se prononcent sur l’épineux dossier des pesticides tueurs d’abeilles
Les députés se prononcent sur l’épineux dossier des pesticides tueurs d’abeilles
Par Audrey Garric, Pierre Le Hir
Les néonicotinoïdes pourraient être interdits à partir de 2018, mais avec de possibles dérogations jusqu’en 2020.
Le dossier aura été l’un des plus emblématiques mais aussi des plus épineux du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, examiné par l’Assemblée nationale en troisième lecture du mardi 21 au jeudi 23 juin. Mercredi, les députés devaient se prononcer sur les néonicotinoïdes, cette famille de pesticides reconnus nocifs pour les abeilles et les insectes pollinisateurs et, plus généralement, pour l’environnement et la santé.
Le texte, tel qu’il a été voté par la commission du développement durable le 14 juin, interdit l’utilisation de ces molécules à partir du 1er septembre 2018 sur l’ensemble des cultures, « y compris les semences traitées avec ces produits ». Il prévoit également qu’un arrêté ministériel définisse, après avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), des « solutions de substitution » à ces substances. C’est un amendement à l’article 51 quaterdecies, signé par 90 députés, qui rétablit ainsi la version adoptée par les députés en deuxième lecture mi-mars.
Car entre-temps, le Sénat, à majorité de droite, avait détricoté la mesure, se prononçant pour une diminution progressive des néonicotinoïdes, mais sans fixer de date limite à leur usage. Signe de l’intensité des crispations sur cette affaire, la date de la fin de ces pesticides, initialement prévue au 1er janvier 2017, a été repoussée à chaque étape du long parcours législatif du projet de loi.
« Examen décisif »
La bataille en séance plénière de l’Assemblée s’annonce rude. Pas moins de 39 amendements ont été déposés pour rétablir la version du Sénat ou empêcher tout bannissement des néonicotinoïdes, afin d’épargner les agriculteurs. Mardi, les céréaliers se sont déclarés d’accord pour une interdiction de ces produits dans leurs cultures, mais à compter du 1er septembre 2021 et uniquement au cas par cas, après avis scientifique de l’Anses.
« L’examen du texte par l’Assemblée va être décisif pour l’issue de cette bataille, assure Delphine Batho, députée (Parti socialiste, Deux-Sèvres), à la pointe du combat contre les néonicotinoïdes. Il n’y aura pas de séance de rattrapage. » Le Sénat doit encore réexaminer le texte, avant une lecture définitive à l’Assemblée, programmée le 18 juillet. Mais le droit parlementaire prévoit qu’en cas de désaccord persistant entre les deux chambres l’Assemblée ait le dernier mot en votant la dernière version qu’elle avait adoptée. « En cas de recul de l’Assemblée sur le texte, lors de la lecture en cours, il sera donc définitif », conclut Delphine Batho.
Clarification de la position du gouvernement
La position du gouvernement, très attendue, pourrait également s’avérer décisive. Jeudi 16 juin, la ministre de l’environnement, Ségolène Royal, qui recevait une pétition ayant recueilli plus de 600 000 signatures contre les néonicotinoïdes, a assuré qu’elle serait « sur les bancs du gouvernement » lors du vote et qu’elle mettrait « tout son poids dans la bataille » pour faire voter une interdiction dès 2018.
Une position atténuée par sa secrétaire d’Etat à la biodiversité, qui a déclaré dans un entretien à l’agence de presse spécialisée AEF, mardi : « Nous sommes en train de regarder si la date de 2018 peut rester une date “sèche”, ou si, sous le contrôle de l’Anses, il faut envisager quelques dérogations encadrées dans le temps pour les cas impossibles à gérer d’ici là. »
Un amendement de dernière minute, déposé mercredi par la rapporteure du texte, Geneviève Gaillard (PS, Deux-Sèvres), pourrait, s’il est adopté, instaurer un mécanisme en deux temps. Il prévoit l’interdiction des néonicotinoïdes à compter du 1er septembre 2018, mais avec de possibles dérogations jusqu’au 1er juillet 2020. Celles-ci seraient accordées au terme d’un bilan comparant « les bénéfices et les risques » des néonicotinoïdes et des produits ou méthodes de substitution disponibles. « Cet amendement introduit une dérogation de portée générale, qui n’est pas limitée aux seuls cas de dangers graves pour les cultures et d’absence d’alternative. Cela repousse en pratique l’interdiction à 2020, ce qui n’est pas acceptable », dénonce Delphine Batho.
« Nous attendons une clarification de la position du gouvernement sur ce sujet, rappelle Amandine Lebreton, coordinatrice agriculture à la Fondation Nicolas Hulot. Les deux années avant l’interdiction totale laissent le temps de faire émerger et adopter des alternatives, comme le recours à l’agroécologie. »
Des néonicotinoïdes en hausse en France
Les néonicotinoïdes, également nocifs pour les pollinisateurs sauvages (bourdons, papillons), font l’objet d’un moratoire partiel en Europe depuis la fin de 2013 : trois molécules (l’imidaclopride, la clothianidine et le thiaméthoxame) sont interdites sur la plupart des cultures (tournesol, maïs, colza), sauf sur les céréales à paille, l’hiver, et sur les betteraves.
Mais malgré ce moratoire, l’usage de ces pesticides a augmenté en France, selon des statistiques du ministère de l’agriculture obtenues le 26 mai par l’Union nationale de l’apiculture française. Les données révèlent que les tonnages des cinq principaux « tueurs d’abeilles » vendus en France sont passés de 387 tonnes en 2013 à 508 tonnes en 2014, soit une augmentation de 31 %.
Le déclin des abeilles expliqué en 3 minutes
Durée : 03:50
« Ces pesticides neurotoxiques déciment chaque année 300 000 colonies d’abeilles en France », soulignent les associations. Ces dernières années, la production de miel s’est effondrée en France, du fait de cette mortalité annuelle accrue des butineuses. D’environ 30 000 tonnes il y a vingt ans, la production est passée à 15 000 tonnes en 2015.
Non-régression, « taxe Nutella » et OGM cachés
Outre le dossier emblématique des néonicotinoïdes, plusieurs dispositions de la loi sur la biodiversité sont au cœur du clivage entre députés et sénateurs. Le vote de l’Assemblée sur ces questions, entre les 21 et 23 juin, est donc scruté avec une attention particulière.
Dans la nuit de mardi à mercredi, les députés ont adopté le principe de non-régression du droit de l’environnement, selon lequel « la protection de l’environnement (...) ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ». C’est sur l’inscription dans la loi de cette règle fondamentale, soutenue par les parlementaires de gauche mais refusée par ceux de droite, qu’avait échoué la commission mixte paritaire réunie après la deuxième lecture du texte.
Les députés ont aussi confirmé l’inscription du préjudice écologique dans le code civil. Il prévoit une remise en état du milieu dégradé par celui qui en est jugé responsable ou, à défaut, le paiement de dommages et intérêts, selon le principe du pollueur-payeur. Mais le délai de prescription, initialement fixé à trente ans, a été ramené à dix ans, conformément au vœu du Sénat.
Autre sujet sensible, la taxation de l’huile de palme, ou « taxe Nutella ». Celle-ci est destinée à mettre fin à la niche fiscale dont bénéficie aujourd’hui l’huile de palme, dont la production provoque une déforestation à grande échelle. En commission du développement durable, les députés ont proposé de fixer cette taxe à 30 euros par tonne en 2017, 50 euros en 2018, 70 euros en 2019 et 90 euros en 2020.
La commission du développement durable a par ailleurs prévu un moratoire, du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2018, sur « la mise en culture de semences de colza et de tournesol tolérantes aux herbicides issues de la mutagénèse ». Ces semences, qui ne sont pas obtenues par transgénèse (introduction d’un gène étranger dans le génome de la plante) mais par mutagénèse (mutations provoquées par un agent chimique ou des radiations), échappent à la réglementation sur les organismes génétiquement modifiés. Mais certaines associations paysannes et environnementales y voient des « OGM cachés ». L’interdiction temporaire de culture doit laisser le temps à l’Anses de rendre un rapport sur ce sujet.