Racistes, pillards, esclavagistes… les clichés sur les Chinois en Afrique ont la vie dure
Racistes, pillards, esclavagistes… les clichés sur les Chinois en Afrique ont la vie dure
Par Sébastien Le Belzic (chroniqueur Le Monde Afrique, Hongkong)
Deux ethnologues se sont penchés sur les clichés qui collent aux entrepreneurs et aux travailleurs chinois sur le continent.
Le ministre des affaires étrangères chinois, Wang Yi, et le ministre de la culture sénégalais, Abdou Azize Mbaye, à Dakar, en janvier 2014. | SEYLLOU / AFP
L’affaire de la fameuse publicité raciste en Chine a inspiré deux ethnologues de Hongkong, Yan Hairong et Barry Sautman, qui se sont lancés dans un virulent plaidoyer contre les mythes de la Chinafrique.
« Beaucoup de gens voient les Chinois comme un bloc unique, nous explique Barry Sautman, professeur à l’université de Hongkong. La plupart de ces généralisations sont négatives, car les relations entre la Chine, les Chinois et le reste du monde sont encore marquées par des clichés du XIXe siècle et l’idée toujours très présente en Occident d’un “péril jaune”. »
« Vendre le pays aux Chinois »
Des idées que confortent beaucoup de médias occidentaux, qui donneraient, selon eux, une image surtout négative de la Chine en Afrique. Image souvent reprise à des fins politiques, constatent les deux chercheurs. Ainsi, au Zimbabwe, quand l’opposition appelle à mettre dehors tous les Chinois, la cible est Robert Mugabe, accusé de « vendre le pays aux Chinois ».
« Il y a beaucoup de facteurs de politique interne en Afrique où les partis d’opposition se démarquent du pouvoir en s’attaquant à la Chine, de plus en plus influente sur le continent, explique Yan Hairong, anthropologue et spécialiste de la Chinafrique. Ces stéréotypes sont des réactions que je qualifierais de racistes. “La Chine pille nos ressources”, “elle a une main-d’œuvre constituée d’esclaves ou de prisonniers”. “Elle vend même de la viande humaine aux pays africains”, comme on a pu l’entendre récemment en Zambie. Mais ce ne sont souvent que des clichés véhiculés soit par la presse et les partis d’opposition, soit par certains médias occidentaux qui se complaisent à critiquer la Chine. Nos recherches ont montré que souvent la situation sur le terrain était bien différente. »
Au Sénégal, par exemple, 86 % des personnes interrogées ont une image globalement positive du rôle de la Chine. Ils sont seulement 56 % à penser la même chose des Etats-Unis. Neuf Kényans sur dix pensent également que la présence chinoise est une bonne chose pour leur pays. « La Chine a une image globalement plus positive en Afrique subsaharienne que dans le reste du monde », notent les sondeurs de Pew Research Center en 2014. Alors pourquoi ces clichés ?
« Affaiblir la Chine »
« Au XIXe siècle, l’Empire britannique jouait de cette mauvaise image pour affaiblir la Chine, et on retrouve le même schéma aujourd’hui », note Barry Sautman. Les pays occidentaux ont peur de l’influence chinoise sur le continent. D’autres clichés plus récents ont la vie dure en Chinafrique. Il s’agit de l’achat massif des terres agricoles, qui n’est absolument pas avéré. « Certains journalistes pensent que le fait de raconter que les Chinois achètent à tour de bras des terres en Afrique est une histoire excitante, et l’on trouve toujours des analystes pour confirmer ce type d’informations sans aucune vérification sur le terrain. Ces informations sont évidemment reprises par la presse internationale, qui aime critiquer la Chine », explique Deborah Brautigam, l’une des grandes spécialistes de la question.
Un autre mythe concerne l’emploi d’une main-d’œuvre uniquement chinoise. « Nos recherches montrent pourtant que près de 80 % de la main-d’œuvre employée par les entreprises chinoises en Afrique est une main-d’œuvre locale, soit souvent beaucoup plus que les multinationales occidentales, souligne Barry Sautman. La différence réside dans le fait que les Chinois n’emploient pas que des ingénieurs qualifiés mais aussi des ouvriers, qui sont donc plus visibles sur le terrain et sont parfois vus comme concurrents des travailleurs nationaux. Et non, il ne s’agit pas d’esclaves ou de prisonniers… »
En 2014, Barack Obama lui-même mettait en garde l’Afrique, lui demandant d’exiger de la Chine l’emploi de travailleurs locaux, alors même que les entreprises américaines emploient plus d’expatriés que les chinoises.
Propagation des mythes
Là encore, la rumeur joue un rôle important dans la propagation des mythes : « Nous sommes allés en Zambie par exemple, expliquent les deux chercheurs, et des journalistes nous ont affirmé avoir été payés par des entreprises locales, concurrentes des entreprises chinoises, pour lancer de fausses informations évidemment reprises par toute la presse africaine puis internationale. »
L’opposition zambienne notamment a beaucoup joué cette carte antichinoise pour affaiblir le pouvoir. Les pays occidentaux aussi n’hésitent pas à mettre en avant cette mauvaise image pour affaiblir l’influence de la Chine en Afrique. Le problème résiderait donc essentiellement dans l’accès aux sources. « Les entreprises chinoises ne communiquent pas assez, elles manquent de transparence », explique Yan Hairong. La plupart n’ont aucun service de communication ou de relations publiques et répondent rarement aux mauvaises critiques et aux accusations. Le fait aussi que la Chine n’est pas un pays démocratique conforte l’idée d’une influence forcément négative de la Chine sur le continent africain.
Evidemment, la Chine n’est pas non plus exempte de critiques. La concurrence par exemple des produits chinois ou l’hyperdépendance du continent à la demande en matières premières, sans compter les petits arrangements diplomatiques ou les ventes d’armes au Soudan…
Mais le discours trop souvent binaire des médias occidentaux ne doit pas tourner à la mauvaise caricature, voire à la désinformation. La rumeur de la vente en Afrique de chair humaine par les entreprises chinoises est à ce titre révélatrice du chemin qui reste encore à accomplir.
Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica.info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.